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[Assemblée nationale.)

ARCHIVES PARLEMENTAIRES.

[4 août 1789.

C’est l’unique moyen d’arrêter le cours de l’oppression des sujets et de conserver les droits légitimes des seigneurs ; c’est un de ceux que je présente à cette auguste assemblée pour le bonheur de la nation. Je finis par rendre hommage aux vertus patriotiques des deux respectables préopinants qui, quoique seigneurs distingués, ont eu les premiers le courage de publier des vérités jusqu’ici ensevelies dans les ténèbres de la féodalité, et qui sont si puissantes pour opérer la félicité de la France.

Ce discours est vivement applaudi. L’enthousiasme saisit toutes les âmes. Des motions sans nombre, plus importantes les unes que les autres, sont successivement proposées. M. le marquis de Foucault fait une motion vigoureuse contre l’abus des pensions militaires ; il demande que le premier des sacrifices soit celui que feront les grands, et celte portion de la noblesse, très-opulente par elle-même, qui vit sous les yeux du prince, et sur laquelle il verse sans mesure et accumule des dons, des largesses, des traitements excessifs, fournis et pris sur la pure substance des campagnes.

M. le vicomte de BSeauharnais propose l’égalité des peines sur toutes les classes des citoyens, et leur admissibilité dans tous les emplois ecclésiastiques, civils et militaires. M. Cottin représente les peuples gémissant sous la tyrannie des agents inférieurs des justices seigneuriales, dont il demande l’extinction, ainsi que celle de tous les débris du régime féodal qui écrase l’agriculture.

M. de Lafarc, e’vêque de Nancy, s’empare de la parole, après l’avoir disputée à un de ses confrères. ... Accoutumés à voir de près la misère et la douleur des peuples, les membres du clergé ne forment d’autres vœux que ceux de les voir cesser. Le rachat des droits féodaux était réservé à la nation qui veut établir la liberté ; les honorables membres qui ont déjà parlé n’ont demandé le rachat que pour les propriétaires. Je viens exprimer, au nom du clergé, le vœu de la justice, de la religion et" de l’humanité ; je demande le rachat pour les fonds ecclésiastiques, et je demande que le rachat ne tourne pas au profit du seigneur ecclésiastique, mais qu’il en soit fait des placements utiles pour l’indigence. M. de Lubersac, évêque de Chartres, présentant le droit exclusif de la chasse comme un fléau pour les campagnes ruinées depuis plus d’un an par les éléments, demande l’abolition de ce droit, et il en fait l’abandon pour lui. Heureux, dit-il, de pouvoir donner aux autres propriétaires du royaume cette leçon d’humanité et de justice.

A ce mot, une multitude de voix s’élèvent ; elles partent de MM. de la noblesse, et se réunissent pour consommer cette renonciation à l’heure môme, sous l’unique réserve de ne permettre l’usage de la chasse qu’aux seuls propriétaires, avec des mesures de prudence, pour ne pas compromettre la sûreté publique. Tout le clergé se lève pour adhérer à la proposition ; il se forme un tel ensemble d’applaudissements et d’expressions de bienveillance, que la délibération reste suspendue pendant quelque temps.

Bientôt le zèle du bien public calmant cette excusable effervescence, M. Le Pelletier de Saint-Fargeau développe des considérations de bienveillance et de justice, d’après lesquelles, pour le soulagement des laboureurs et des propriétaires accablés de tant d’infortunes, il croyait devoir stipuler que la renonciation aux privilèges et immunités pécuniaires s’appliquât à la présente année, et que les communes des campagnes ressentissent sur-le-champ ce soulagement, par la cotisation des nobles et des autres exempts, faite à leur décharge, dans la forme qui serait jugée la plus convenable par les assemblées provinciales.

M. de Ifiicher, revenant sur ce que l’extinction des justices des seigneurs doit faire espérer de soulagement aux peuples, demande que l’Assemblée vote la gratuité de la justice dans tout le royaume, sauf les précautions tendant à éteindre l’esprit de chicane et la longueur indéfinie des procès.

Plusieurs curés demandent qu’il leur soit permis de sacrifier leur casuel.

A ces mots, un membre de la noblesse réclame pour cette classe précieuse des ministres du culte l’accroissement des portions congrues. Les applaudissements redoublent de la part des citoyens de tous ordres.

M. le duc du Chàtelct propose qu’une taxe en argent soit substituée à la dîme, sauf à en permettre le rachat, comme pour les droits seigneuriaux. Il annonce, en appuyant les premières motions, avoir déjà rendu compte de l’offre qu’il a fait faire à tous ses vassaux de les admettre incontinent à ces différents rachats. Les signes de transports et l’effusion de sentiments généreux dont l’Assemblée présentait le tableau, plus vif et plus animé d’heure en heure, n’ont pu qu’à peine laisser le temps de stipuler les mesures de prudence avec lesquelles il convenait de réaliser ces projets salutaires, votés par tant de mémoires, d’opinions touchantes, et de vives réclamations dans les assemblées provinciales, dans les assemblées des bailliages, et dans les autres lieux où les citoyens avaient pu se réunir depuis dix-huit mois.

Quelques-uns des membres de la noblesse offrent de sacrifier jusqu’à leur droit exclusif de colombier.

On est revenu sur l’extinction absolue des mainmortes de Franche-Comté, de Bourgogne, et des autres lieux qui les connaissent. M. deDoisgelin, archevêque d’Aix, dépeignant avec énergie les maux de la féodalité, prouve la nécessité de les prévenir par la prohibition de toutes les conventions de ce genre, que la misère des colons pourrait dicter par la suite, et d’annuler d’avance toute clause capable de les faire revivre : il rappelle les maux non moins effrayants que l’extension arbitraire des impôts, et surtout des droits prétendus domaniaux, de la gabelle et des aides, a produits dans tout le royaume, où l’esprit de fiscalité corrompt la loyauté et la droiture des sentiments du peuple, comme il altère la sincérité des contrats et des actes, absorbe l’aisance et arrête la circulation des fonds. Après cette observation, qui semblait épuiser le projet si étendu des réformes, l’attention et la sensibilité de l’Assemblée ont été encore réveillées et attachées par des offres d’un ordre tout nouveau.