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[Assemblée nalionalo.

ARCHIVES PARLEMENTAIRES.

[3 août 1789.)

que consolante et salutaire, est la diminution du luxe ; l’autre, plus prochain, plus pressant, est le désœuvrement instantané et la cessation des salaires ou profits d’un grand nombre d’individus, domestiques, ouvriers et employés de toute espèce. De là suit encore la diminution des aumônes pour les pauvres, celle des consommations pour les riches, ce qui occasionnera aussi momentanément une réduction dans les profits des marchands et entrepreneurs.

Un vice particulier à la France rend toutes ces réformes aussi nécessaires que leur effet pourrait être dangereux, si on ne se hâtait d’y pourvoir. 11 n’existe dans aucun autre Etat policé, et nous ne trouvons dans l’histoire d’aucun peuple une aussi grande quantité d’officiers publics et d’employés de tous les genres, à la charge de la société, qu’il y en a parmi nous.

D’un autre côté, la diminution du travail et de l’industrie dans les classes productives fait depuis quelques années des progrès effrayants ; plusieurs manufactures et grand nombre de métiers ont été abandonnés dans plusieurs provinces ; des milliers d’ouvriers sont sans emploi : la mendicité s’est accrue sensiblement dans les villes et dans les campagnes. Le commerce maritime est frappé de la même inertie. Les étrangers partagent nos pêcberies et notre cabotage. Les armements diminuent, quoique le fret de nos vaisseaux soit à haut prix, soit que cet état de langueur du commerce intérieur et extérieur dépende de celui de l’agriculture trop imposée et desséchée par les spéculations de l’agiotage, soit qu’il résulte du désavantage de nos relations poliques avec les puissances étrangères -, de cette multitude de règlements et de droits fiscaux qui obstruent tous les canaux de l’industrie, ou enfin de la réduction des capitaux que les agents du commerce y consacrent, parce que le luxe, la vanité, le grand nombre de charges et d’emplois stériles, éloignent malheureusement de tous les travaux productifs les hommes qui s’y sont enrichis ; quelle que soit enfin la cause du mal, il existe, et notre devoir pressant, le grand intérêt national est de le faire cesser.

Or, remarquez, Messieurs, que ce mal si funeste, ce désœuvrement de plusieurs salariés, cette diminution de travail et de moyens de subsistance dont nous nous plaignons aujourd’hui, va s’aggraver demain par une cessation de gages et de salaires d’une multitude d’hommes qui subsistaient hier directement ou indirectement de la solde des abus, ou des fonctions publiques, ou des divers revenus que nous allons supprimer ou réduire.

Ainsi, par la suite d’un mauvais système de commerce, par tous les vices de notre économie politique et rurale, le désœuvrement, la mendicité, la misère, affligent une portion considérable de la nation : et par la suite de vos opérations, Messieurs, qui tendent au rétablissement de l’ordre, si vous les séparez des mesures et des précautions de détail qu’il est en votre pouvoir d’employer, vous augmenterez infailliblement le désœuvrement, la mendicité et la misère. Il ne s’agit point ici de vaines hypothèses ou seulement de probabilités. Ce sont des faits positifs que je vous annonce. Aucun homme instruit ne peut contester l’état actuel du commerce et des manufactures. Le spectacle des villes et des campagnes, les prélats, les pasteurs charitables, tous les préposés du gouvernement déposent avec moi de la misère publique, et tout observateur attentif des effets momentanés do la révolution présente en voit l’accroissement certain, si vous n’y pourvoyez.

Sans doute la liberté vaut la peine d’être achetée par des maux passagers ; mais ceux qui en souffriront le plus en jouiront le moins ; et quand un sentiment de justice et d’humanité ne suffirait pas pour nous décider à voler à leur secours, un intérêt puissant, celui de la liberté même, nous y oblige ; car elle a deux espèces d’ennemis également dangereux, les hommes puissants et les hommes faibles, les favoris et les victimes de la fortune.

Remarquez en effet, Messieurs, que dans tous les âges, dans tous les pays, ceux qui n’ont rien, ceux dont la vie est un "fardeau, ont toujours vendu leurs services et souvent leur liberté à ceux qui peuvent la payer.

Je me reprocherais, Messieurs, de vous avoir affligés par ces tristes détails, si je ne voyais la réparation possible et prompte de tant de maux ; et c’est alors que mon cœur s’ouvre à l’espérance et à la joie, en apercevant la génération qui nous suit jouir sans orage du superbe héritage que nous lui transmettons. Avant de vous exposer les mesures que je crois indispensables dans les circonstances actuelles, je dois vous rappeler les principes et les moyens qui en assurent le succès.

Toutes les dépenses stériles épuisent les nations comme les grands propriétaires. Toutes les dépenses utiles les enrichissent.

Toute nation riche et libre peut disposer dans son propre sein, et sans aucun secours étranger, d’un crédit immense qui n’a d’autres limites que ses capitaux ; et l’emploi bien ordonné d’un tel crédit allège ses charges au lieu de les aggraver. Toute dépense intérieure de l’Etat, qui aura pour objet de multiplier Je travail et de répartir les subsistances à tous les indigents, ne sera jamais qu’une charge fictive pour l’Etat, car elle multipliera effectivement les hommes et les denrées.

Je crois, Messieurs, que dans une Assemblée aussi éclairée, ces assertions peuvent être considérées comme démontrées, et qu’il serait superflu de leur donner plus de développement. Je regarde donc comme certain que nous verrons bientôt notre constitution appuyée sur un système de finances raisonnable et vraiment digne d’une grande nation, que la ressource ruineuse des emprunts disparaîtra, et que les moyens des grandes opérations se développeront avec elles. Je reviens maintenant à celles que j’ai à vous proposer ; et si je vous indique une dépense nouvelle, commandée par la nécessité la plus irrésistible, celle-ci a le double avantage d’être au nombre des dépenses productives, et d’appartenir également aux devoirs les plus sacrés de tous les citoyens. Elle peut donc être en partie prélevée sur leurs jouissances et sur le crédit national, dont la régénération doit bientôt et nécessairement multiplier le numéraire fictif et effectif. Mais examinons d’abord les différentes classes d’hommes sur lesquels doivent frapper les réformes et tous les changements qui se préparent.

Je ne parle point des déprédateurs ; s’ils existent, s’ils sont convaincus, tout ce qu’on leur doit et à la nation, c’est de les punir. Après eux viennent les hommes inutiles et largement payés. II en est de tous les rangs ; que justice en soit faite !

Mais les salaires modiques des hommes même inutiles, les emplois, les fonctions nécessaires