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(Assemblée nationale.

ARCHIVES PARLEMENTAIRES.

(3 août 1789.]

de remplir la place que vous me confiez, et que les talents de mes prédécesseurs ont rendue si difficile, si je n’espérais que vous daignerez être mes guides, et qu’objet de vos bontés, je le serai également de votre indulgence.

Vous êtes maintenant occupés du travail le plus important : donner une constitution au royaume est le sujet actuel de toutes vos pensées. La France en désordre vous conjure de bâter ce travail sans le précipiter. Je serais trop beureux, Messieurs, si je pouvais contribuer à avancer de quelques instants un si grand ouvrage, et, organe de votre volonté, prononcer quelques articles fondamentaux de la liberté et du bonbeur public. (On applaudit. )

M. Salomon, au nom du comité des rapports, donne quelques détails de ses premiers travaux. Par des lettres de toutes les provinces, il paraît que les propriétés, de quelque nature qu’elles Boient, sont la proie du plus coupable brigandage ; de tous les côtés les châteaux sont brûlés, les couvents sont détruits, les fermes abandonnées au pillage. Les impôts, les redevances seigneuriales, tout est détruit ; les lois sont sans force, les magistrats sansautoritô, la justice n’est plus qu’un fantôme qu’on cherche inutilement dans les tribunaux.

Pour remédier à de tels désordres, le comité des rapports propose l’arrêté suivant : « L’Assemblée nationale, imformée que le payement des rentes, dîmes, impôts, cens, redevances seigneuriales, est obstinément refusé ; que les habitants des paroisses se réunissent et témoignent dans des actes l’engagement de ces refus, et que ceux qui ne veulent pas s’y soumettre sont exposés aux menaces les plus effrayantes, et éprouvent de mauvais traitements ; que des gens armés se rendent coupables de violence, qu’ils entrent dans les châteaux, se saisissent des papiers et de tous les titres, et les brûlent dans les cours ;

« Déclare qu’occupée sans relâche de tout ce qui concerne la constitution et la régénération de l’Etat, elle ne peut, quelque pressants que soient les objets particuliers qui lui sont soumis, détourner ses regards de celui auquel elle est fixée, et suspendre ses travaux dont toute l’importance exige la continuité ;

a Déclare qu’aucune raison ne peut légitimer les suspensions de payement d’impôts et de toute autre redevance, jusqu’à ce qu’elle ait prononcé sur ces différents droits ; déclare qu’aucun prétexte ne peut dispenser de les payer ; qu’elle voit avec douleur les troubles que ces refus occasionnent, et qu’ils sont essentiellement contraires aux principes du droit public que l’Assemblée ne cessera de maintenir. »

La discussion s’ouvre sur ce projet. Il s’élève plusieurs opinions très-opposées. Quelques-uns sont d’avis qu’il n’y a lieu à délibérer, attendu que l’Assemblée n’a pas de preuves légales des désordres qu’on lui annonce, et contre lesquels on lui propose de statuer.

M. llougins de Roquefort. Je combats cette opinion. L’Assemblée est la sauvegarde de la société ; il suffirait que la tranquillité publique fût seulement menacée, pourqu’elle soit autorisée à E rendre toutes les mesures propres à la maintenir, a notoriété des faits constatés par les lettres des personnes publiques donne des preuves incontestables des troubles qui agitent les provinces et ces preuve* ainsi acquises suffisent pour exiger de l’Assemblée un acte d’invitation et de prévoyance, tel que l’arrêté proposé par le comité. M. l’abbé Grégoire énonce le vœu des curés de son bailliage ; il fait le tableau des persécutions inouies qu’on vient d’exercer en Alsace envers les juifs ; il dit que, comme ministre d’une religion qui regarde tous les hommes comme livres, il doit réclamer dans cette circonstance l’intervention du pouvoir de l’Assemblée en faveur de ce peuple proscrit et malheureux. M. de Rnzc observe que la féodalité est une matière délicate, et de toutes les questions la plus importante pour les habitants de la campagne. 11 pense qu’il serait dangereux de rien promulguer sur ce point jusqu’après l’achèvement delà constitution.

Quelques membres appuient cette observation. Un député de la noblesse ajoute que l’Assemblée ayant déjà fait une déclaration pour inviter le peuple à la paix, il convient d’en faire une autre pour remettre les anciennes lois en vigueur. Un membre observe qu’il importe de s’assurer de la vérité des faits.

Le rapporteur répond que les lettres sont bien positives.

Quelques-uns demandent des procès- verbaux ; il n’y en a point.

M. Desmeuniers. J’observe que les faits n’étant point constatés, il ne convient pas à l’Assemblée de faire une déclaration sur des objets douteux ; elle doit être très-circonspecte sur le choix des preuves ; dans les tribunaux, les lettres, les certificats sont rejetés, et une Assemblée aussi solennelle, aussi auguste, ne doit pas montrer moins de scrupule.

M. Robespierre. Je réponds à cette dernière objection, que le pouvoir exécutif, pour prononcer des jugements, a besoin d’une certitude non équivoque ; mais qu’il suffit au pouvoir législatif d’être assuré des faits officiellement ; au surplus, les lettres envoyées au comité des rapports sont suffisantes, puisqu’elles sont émanées de personnes en place, des corps de magistrature, etc. M. le Président prend la parole, et réduit la question à deux propositions :

1° Adoptera-t-on le plan d’une déclaration ? 2° Adoptera-t-on celle présentée par le comité des rapports, ou la renverra-t-on au comité de rédaction ?

Plusieurs membres interrompent M. le président, l’interrogent, lui reprochent de s’écarter du règlement, qui ordonne que toutes les motions ne seront mises en délibération que le lendemain. M. Chapelier, avec la plus grande modération, répond à chacun sur le règlement. Il dit qu’il faut distinguer les motions relatives aux impôts, aux finances et à la législation ; que ces seules motions sont celles qui ne doivent être mises en délibération que le lendemain ; qu’au surplus, il demande la volonté de l’Assemblée, pour décider si on mettra sur-le-champ la matière en délibération.

La très-grande majorité vote pour que l’on délibère sur-le-champ.