Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome VIII.djvu/406

Cette page n’a pas encore été corrigée

332

[Assemblée nationale.

ARCHIVES PARLEMENTAIRES.

[3 août 1789-1

Il a été fait lecture du procès-verbal de la séance du samedi 1 er août, et l’on a notifié à l’Assemblée la nouvelle distribution des bureaux.

Diverses motions ont été faites relativement à la forme des discussions et des délibérations publiques.

M. Bouche. Nous sommes arrivés au moment de la constitution. Chacun s’empresse de communiquer ses idées, chacun vient ici faire briller ses talents et son génie ; ces discours d’apparat sont sans doute fort agréables pour les auditeurs, mais ils ne le sont pas autant pour l’Assemblée nationale. 11 y aura peut-être 200 personnes qui parleront sur la constitution, et l’on sent bien quels sont les retards qu’une telle abondance de paroles apporte à l’empressement que nous avons de former la constitution. Je propose un moyen d’accélérer vos délibérations ; c’est d’inviter M. le président d’avoir sur son bureau un sablier de cinq minutes seulement, et que, quand l’un des bassins sera rempli, M. le président avertira l’orateur que son temps est passé. Cette motion a été d’abord applaudie. Plusieurs personnes ont demandé que l’on délibérât sur-le-champ.

Cette demande a été mise en proposition, et l’affirmative est décidée à la très-grande majorité.

La motion paraît d’abord généralement approuvée, et M. le curé du Vieux -Pouzauges prie M. le président, pour remplacer le sablier, de mettre sa montre sur la table, et de n’accorder que cinq minutes à l’orateur.

M. Mounier observe que la motion n’étant pas passée, on ne pouvait pas encore s’y conformer.

Un membre. Je crois qu’il ne faut rien précipiter ; il vaut mieux entendre des discours trop longs, que de n’en entendre aucuns qui pourraient éclairer et instruire l’Assemblée ; si chaque membre n’avait que cinq minutes pour parler, la crainte de passer le moment fixé le rendrait peut- être inintelligible ; aucune assemblée a-t-elle jamais délibéré en si peu de temps ?

Je crois que bien du monde trouvera le fond de cette motion blâmable. Jamais, en effet, on ne s’est avisé de circonscrire les mouvements du génie et de l’éloquence ; c’est à la sagesse du député qui a la parole à s’arrêter où il doit, et à la prudence du président de. le ramener à l’ordre, s’il arrive à un honorable membre de s’emporter au delà des justes bornes soit du temps, soit de la modération.

M. Target. Le terme de cinq minutes est beaucoup trop court. Je pense qu’il conviendrait mieux de fixer le nombre des orateurs, que le temps de la discussion ; et je propose qu après que dix orateurs auront parlé, si l’on juge la discussion assez débattue, on aille aux voix. M. de Clermont-Tonnerre. Convient-il à l’Assemblée nationale, appelée pour rétablir la liberté en France, de commencer d’enlever la liberté des suffrages ? Plusieurs des préopinants m’ont donné le courage de combattre l’opinion de M. Bouche ; car il y en a à combattre une motion qui tend à nous faire gagner du temps et à nous éviter de l’ennui.

Dans aucune Assemblée on n’a jamais restreint l’orateur à s’expliquer en cinq minutes sur les grands comme sur les petits objets ; ces moments sont trop rapides pour un peuple qui n’est pas encore accoutumé à délibérer. Les Anglais, qui depuis longtemps sont faits à la forme délibérative, parlent pendant une heure, deux heures, et quelquefois davantage. Je n’en saurais dire davantage. . . J’en demande bien pardon à la nation ; mais je ne sais ce que je dis ; la crainte de passer les cinq minutes m’empêche de rallier aucune idée, et cet exemple de l’effet funeste que produirait la motion de M. Bouche vaut mieux que toutes les raisons que je pourrais employer.

Cette simplicité ingénieuse paraît convaincre presque toute l’Assemblée, et elle devient la source de beaucoup d’amendements.

M. de Foucault demande que l’on établisse une communication de bureau a bureau. M. Pétion de Villeneuve. Je demande que l’on inscrive désormais tous ceux qui demanderont la parole sur deux listes ; que les noms de ceux qui seront pour la motion soient inscrits sur la première liste, et ceux qui seront contre, sur la seconde ; que l’on appelle les noms pour et contre alternativement, en sorte que la motion soit également défendue et également combattue. Ce moyen évitera les répétitions toujours ennuyeuses, toujours rebutantes ; l’on s’attachera aux objections, et non à répéter les mêmes réflexions que des préopinants auront présentées en faveur de la même opinion.

Un membre propose un sous-amendement à celui du préopinant, tendant à mettre en question, quand l’une des listes sera épuisée, si l’Assemblée veut aller aux voix. M. Rabaud de Saint-Etienne. Je ne me contenterai pas de proposer des amendements contre une motion dont je sens tous les dangers ; je crois devoir me déclarer formellement contre son adoption. Ma conscience me force de m’élever contre une motion qui a d’abord paru enlever tous les suffrages de l’Assemblée. J’aurai le courage de la combattre, car quoique celte opinion semble n’être proposée que pour hâter le moment de la constitution ; plus approfondie, on voit qu’elle ne tendrait qu’à écarter toutes les idées qui peuvent la rendre plus durable, plus sage et plus digne de tous les éloges de nos contemporains et de la postérité.

En effet, comment a-t-on pu vous proposer de ne délibérer que pendant cinq minutes sur des lois que tout l’univers approuvera ou blâmera, auxquelles le salut de 25 millions d’hommes est attaché, que peut être des nations entières attendent pour les prendre pour modèles ? Je ne sais quels termes employer pour caractériser une telle motion ; quel est l’orateur qui, sur les objets les plus importants que l’on ne peut même prévoir, peut sur-le-champ présenter ses idées, ses réflexions, ses objections dans un espace de cinq minutes ? L’histoire d’aucun peuple ne fournit l’exemple d’une pareille sévérité. M. de La Luzerne, éveque de Langres. Déjà, par une délibération précédente, on avait astreint les discussions dans les bureaux, en prescrivant des assemblées tous les jours et des bureaux tous les soirs. Si l’on restreignait encore à dix orateurs ou à quelques minutes cette discussion si nécessaire pour préparer la constitution de l’Etat, la liberté des opinions serait attaquée et presque détruite.