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240 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juillet 1789.]

les troubles de Paris ; mais les ennemis de la nation n’ont pas craint de les faire naître. Ces troubles vont cesser : la constitution sera établie : elle nous consolera, elle consolera les Parisiens de tous les malheurs précédents ; et parmi les actes du désespoir du peuple, en pleurant sur la mort de plusieurs citoyens, il sera peut-être difficile de résister à un sentiment de satisfaction en voyant la destruction de la Bastille, où sur les ruines de cette horrible prison du despotisme s’élèvera bientôt, suivant le vœu des citoyens de Paris, la statue d’un bon Roi, restaurateur de la liberté et du bonheur de la France. L’Assemblée applaudit vivement à ce récit, et en ordonne l’insertion au procès-verbal. Plusieurs membres demandent que M. le comte de Lally-Tollendal soit prié de lire le discours qu’il a prononcé à l’Hôtel-de-Ville. Toute l’Assemblée répète cette demande.

M. de Lally-Tollendal en fait lecture ; il est ainsi conçu :

Ce sont vos concitoyens, vos amis, vos frères, vos représentants qui viennent vous donner la paix. Dans les circonstances désastreuses qui viennent de s’effacer, nous n’avons pas cessé de partager vos douleurs ; mais nous avons partagé votre ressentiment ; il était juste. Si quelque chose nous console au milieu de l’affliction publique, c’est l’espérance de vous préserver des malheurs qui vous menaçaient. On avait séduit votre lion Roi, on avait empoisonné son cœur du venin de la calomnie, on lui avait fait redouter cette nation qu’il a l’honneur et le bonheur de commander.

Nous lui avons été dévoiler la vérité : son cœur a gémi, il est venu se jeter au milieu de nous ; il s’est fié à nous, c’est-à-dire à vous ; il nous a demandé des conseils, c’est-à-dire les vôtres ; nous l’avons porté en triomphe, et il le méritait. Il nous a dit que les troupes étrangères allaient se retirer, et nous avons eu le plaisir inexprimable de les voir s’éloigner. Le peuple a fait entendre sa voix pour combler le Roi de bénédictions ; toutes les rues retentissent de cris d’allégresse. Il nous reste une prière à vous adresser : nous venons vous apporter la paix de la part du Roi et de l’Assemblée nationale. Vous êtes généreux, vous êtes Français. Vous aimez vos femmes, vos enfants, la patrie ; il n’y a plus de mauvais citoyens parmi vous ; tout est calme, tout est paisible. Nous avons admiré l’ordre de votre police, de vos distributions, le plan de votre défense ; mais maintenant la paix doit renaître parmi nous, et je finis en vous adressant, au nom de l’Assemblée nationale, les paroles de confiance que le souverain a déposées dans le sein de l’Assemblée : Je me fie a vous. C’est là notre vœu ; il exprime tout ce que nous sentons.

Voilà le discours que j’ai cru devoir prononcer. C’est au nom de l’Assemblée que j’ai parlé, et si j’ai reçu des applaudissements, ce n’a été que pour lui en offrir l’hommage.

J’ajouterai qu’il n’y a eu qu’un cri dans l’Hôtel-de-Ville, dans la place de l’Hôtel-de-Ville, dans toute la ville enfin, pour demander l’éloignement des ministres, et le retour de l’homme vertueux qui est maintenant éloigné de la cour, et qui a si bien servi la patrie, de M. Necker enfin. Je n’ai pu vous taire le vœu de la capitale parce que mes concitoyens m’ont prié, m’ont conjuré de le déposer au milieu de vous ; et je ne cède qu’à ma conscience, qu’à mon devoir, en vous portant l’ordre de mes commettants.

M. de Lally-Tollendal est vivement applaudi ; l’Assemblée ordonne l’insertion de son discours au procès-verbal.

M. le comte de Mirabeau fait lecture d’un discours suivi d’un projet d’adresse au Roi, tendant à lui demander le renvoi des ministres dont les conseils pervers ont causé dans la France des scènes si désastreuses.

M. le comte de Mirabeau lit son projet d’adresse ; il est ainsi conçu :

Sire, nous venons déposer au pied du trône notre respectueuse reconnaissance pour la confiance à jamais glorieuse que Votre Majesté nous a montrée, et l’hommage que nous rendons à la pureté de vos intentions, à cet amour de la justice qui vous distingue si éminemment, et qui donne à l’attachement de vos peuples pour votre personne sacrée le plus saint et le plus durable des motifs.

Le renvoi des troupes est un bienfait inestimable, nous en connaissons toute l’étendue, mais il semble acquérir un nouveau prix, parce que nous le devons uniquement à votre cœur, à votre sollicitude paternelle. Vraiment digne de tenir les rênes de l’État, vous ne les avez pas abandonnées dans le moment le plus difficile à ceux qui voulaient, en multipliant les artifices, vous persuader de leur en laisser la conduite. Vous avez remporté un triomphe d’autant plus cher à vos peuples, qu’il vous a fallu résister à des sentiments et à des affections auxquels il est honorable et doux d’obéir dans la carrière d’une vie privée. Un des plus pénibles devoirs du poste élevé que vous remplissez, c’est de lutter contre l’empire des préférences et des habitudes. Mais, Sire, une funeste expérience vient de nous montrer que de sinistres conseils, quoiqu’ils aient été pour Votre Majesté l’occasion d’exercer une grande et rare vertu, nous ont fait acheter au prix de la tranquillité publique, au prix du sang de nos concitoyens, le bien que nous eussions d’abord obtenu de la justesse de votre esprit et de la bonté de votre cœur. Il est même certain que, sans ces perfides conseils, ces troupes, dont Votre Majesté nous a daigné accorder la retraite, n’auraient point été appelées.

Ils ont trompé Votre Majesté ; une détestable politique s’est flattée de vous compromettre avec vos fidèles sujets ; nos ennemis on espéré que des excès de notre part ou des emportements du peuple justifieraient l’emploi des moyens dont ils avaient su se prémunir ; ils ont espéré faire des coupables afin de se donner des droits contre la nation ou contre nous ; ils auraient surpris à votre religion, à votre amour pour l’ordre, des commandements qui, pouvant être exécutés à l’instant même, auraient créé dans la France un déplorable état de choses, mis l’aliénation à la place de la confiance et fait avorter toutes vos intentions généreuses parce que, heureux dans le prolongement du désordre et de l’anarchie, ces nommes hautains et indépendants redoutent une constitution et des lois dont ils ne pourront pas s’affranchir.

Sire, où prétendaient-ils vous conduire ? où aboutissait le plan funeste qu’ils avaient osé méditer ?

Il n’est douteux pour aucun de nous, qu’ils se proposaient de disperser l’Assemblée nationale et même de porter des mains sacrilèges sur les re-