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tardé cette réunion, et rendu à l'aristocratie le courage de persister encore dans une séparation dont elle sentira bientôt les dangers.

« L'alarme s'est trop aisément répandue; la capi- tale a été consternée ; le lieu même où nous som- mes a éprouvé une agitation contre laquelle nous avons vu employer des précautions que l'on croit nécessaires, mais qui n'en sont pas moins alar- mantes.

« Tout nous fait un devoir d'aller au-devant des malheurs et des désordres qui dans une si- tuation aussi extraordinaire peuvent sortir à cha- que instant de l'inquiétude générale.

« Le renouvellement des Etats généraux après un si long terme, l'agitation qui l'a précédé, le but de cette convocation si différent de celui qui rassemblait vos ancêtres (1), les prétentions de la noblesse, son attachement à des lois gothiques et barbares, mais surtout les formes vraiment extraordinaires dont on s'est servi pour faire in- tervenir le Roi, beaucoup d'autres causes enfin ont échauffé les esprits ; et l'esprit de fermenta- tion où se trouve le royaume est tel, nous osons le dire, que ceux qui veulent user de violence, lorsque les plus grands ménagements sont tous les jours plus nécessaires, ne se rendent pas seu- lement indignes d'être regardés comme Fran- çais (2), mais méritent d'être envisagés comme des incendiaires.

D'après ces considérations, Messieurs, nous croyons devoir vous présenter le tableau de notre vraie position, pour vous prémunir contre les exagérations et les craintes qu'un zèle trompé ou que des intentions coupables pourraient af- fecter de faire prévaloir.

« Dans cette même journée où un appareil plu- tôt menaçant qu'imposant vous montrait un mo- narque absolu et sévère, quand l'Assemblée na- tionale n'aurait voulu voir que le chef suprême, escorté seulement de ses vertus ; dans cette même journée nous avons entendu do sa bouche les dé- clarations les plus pures de ses grandes vues, de ses intentions vraiment généreuses, vraiment magnanimes.

« Non, les formes les moins propres à concilier les cœurs ne nous déguiseront point les senti- timents de notre Roi; nous pourrons gémir d'être mal connus de ce prince ; mais nous n'aurons jamais à nous reprocher d'être injustes. Malheur à ceux qui nous peindraient formida- bles ! Nous pourrions le devenir au jour de la justice ; mais ce serait pour eux seuls.

« Et comment les sentiments du Roi pourraient- ils causer quelques alarmes ? Si nous connais- sions moins ses vues, n'avons-nous pas la garan- tie de ses lumières et de son intérêt ? L'aristocratie cessera-t-elle jamais d'être l'ennemie du trône ? Toute son ambition n'est-elle pas de fractionner l'autorité? Ne sont-ce passes prérogatives, ses privilèges, ses usurpations qu'elle cherche à cimenter par de mauvaises lois ? Et n'est-ce pas une vérité démontré, que le peuple ne veut que la justice, mais qu'aux grands il faut du pou- voir.

« Ah 1 l'aristocratie a fait à nos rois le plus grand de tous les maux: elle a souvent fait douter de leurs vertus même ; mais la vérité est arrivée au pied du trône, et le Roi qui s'est dé- claré le père de son peuple veut que ses bienfaits

(2)

Discours do Roi. Idem.

soient communs ; il ne consacrera point les titres de la spoliation qui n'ont été que trop longtemps respectés. C'est à la prévention seule, c'est à la fatigue des obsessions, c'est peut-être à la consi- dération que les meilleurs esprits conservent longtemps pour les anciens usages, et à l'espoir d'opérer promptement la réunion ; c'est à tous ces motifs que nous attribuons les déclarations en faveur de la séparation des ordres, du veto des ordres, des privilèges féodaux ; ces timides mé- nagements pour tous ces restes de barbarie, pour ces masures de la féodalité qui ôteraient toute solidité, toute beauté, toute proportion à l'édifice que nous sommes appelés à construire

« Nous voyons par l'histoire de tous les temps, surtout par la nôtre, que ce qui est vrai, juste, nécessaire, ne peut pas être disputé longtemps comme illégitime, faux et dangereux; que les préjugés s'usent et succombent enfin par la dis- cussion. Notre confiance est donc ferme et tran- quille. Vous la partagerez avec nous, Messieurs, vous ne croirez pas que sous l'empire d'un sage monarque, les justes, les persévérantes réclama- tions d'un grand peuple puissent être vaines à côté de quelques illusions particulières adoptées par un petit nombre, et qui perdent chaque jour de leurs partisans. Vous sentirez que le triomphe de l'ordre, quand on l'attend de la sagesse et de la prudence, ne doit point être exposé par des agitations inconsidérées.

« C'est à vous, Messieurs, à nous aider dans la carrière qui nous est ouverte par vos conseils et par vos lumières ; vous entretiendrez partout le calme et la modération ; vous serez les promoteurs de l'ordre, de la subordination, du respect pour les lois et pour leurs ministres ; vous reposerez la plénitude de votre confiance dans l'immuable fidélité de vos représentants, et vous nous prête- rez ainsi le secours le plus efficace.

« C'est dans une classe vénale et corrompue que nos ennemis chercheront à exciter des tu- multes, des révoltes qui embarrasseront et retar- deront la chose publique. « Voilà les fruits de la liberté! voilà la démocratie! » affectent de répéter tous ceux qui n'ont pas honte de représenter le peuple comme un troupeau furieux qu'il faut en- chaîner, tous ceux qui feignent d'ignorer que ce même peuple, toujours calme et mesuré lorsqu'il est vraiment libre, n'est violent et fougueux que dans les constitutions où on l'avilit pour avoir le droit de le mépriser. Combien n'est-il pas de ces hommes cruels qui, indifférents au sort de ce peuple toujours victime de ses imprudences, font naître des événements dont la conséquence in- faillible est d'augmenter la force de l'autorité qui, lorsqu'elle se fait précéder de la terreur, est toujours suivie de la servitude? Ah ! qu'ils sont funestes à la liberté, ceux qui croient la soutenir par leurs inquiétudes et leurs révoltes ! Ne voient- ils pas qu'ils font redoubler les précautions qui enchaîneut les peuples, qu'ils arment la calomnie au moins d'un prétexte, qu'ils effrayent toutes les âmes faibles, soulèvent tous ceux qui, n'ayant rien à perdre, se font un moment auxiliaires pour devenir les plus dangereux ennemis?

« On exagère beaucoup, Messieurs, le nombre de nos ennemis. Plusieurs de ceux qui ne pen- sent pas comme nous sont loin de mériter pour cela ce titre odieux. Les choses arrivent souvent à la suite des expressions, et les inimitiés trop aisément supposées font naître les inimitiés réelles. Des concitoyens qui ne cherchent comme nous que le bien public, mais qui le cherchent dans une autre route ; des hommes qui , entraînés