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un dessein formel d'attaquer leurs droits et leurs pouvoirs. Il n'a pas encore eu l'occasion de con- naître toute la fermeté de ses mandataires. Sa confiance en eux n'a point encore de racines assez profondes. Qui ne sait d'ailleurs comment les alarmes se propagent, comment la vérité môme, dénaturée par des craintes, exagérée par les échos d'une grande ville, empoisonnée par toutes les passions, peut occasionner une fermentation violente qui, dans les circonstances actuelles et les crises de la misère publique, serait une cala- mité ajoutée à une calamité?

Le mouvement de Versailles est bientôt le mou- vement de Paris ; l'agitation *de la capitale se communique aux provinces voisines, et chaque commotion, s'étendant à un cercle plus vaste, de proche en proche, produit enfin une agitation universelle. Telle est l'image faible, mais vraie, des mouvements populaires; et je n'ai pas besoin de prouver que les derniers événements, déna- turés par la crainte, interprétés par la défiance, accompagnés de toutes les rumeurs publiques, risquent d'égarer l'imagination du peuple, déjà préparée aux impressions sinistres par une situa- tion vraiment déplorable !

Ah! sans doute, ils seraient pardonnables ces mouvements, fussent- ils môme ceux du déses- poir, à un peuple qui, sous le règne d'un Roi, s'est vu traîné par la perfidie des mauvais con- seils, je ne dirai pas sur les bords, mais sur les pentes escarpées du plus affreux des précipices. Et comment les citoyens auraient-ils les mêmes motifs que les députés pour rassurer leur con- fiance? Ont-ils vu dans les regards mêmes du Roi, ont-ils senti dans l'accent de son discours combien cet acte de rigueur et de violence coû- tait à son cœur? Ont-ils jugé, par leurs propres yeux, qu'il est lui-même quand il veut le bien, lui-même quand il invite les représentants du peuple à fixer une manière d'être équitablement gouverné, et qu'il cède à des impressions étran- gères lorsqu'il restreint la générosité de son cœur, lorsqu'il retient les mouvements de sa jus- tice naturelle? Si notre Roi était plus qu'un homme, s'il pouvait tout par lui-même, on ne re- douterait pas les effets de cette démarche que des conseillers imprudents et pervers luiontarra- chée; il serait inutile de prémunir le peuple contre les égarements où des intentions criminelles et des séductions adroites pourraient le précipiter.

Quand on se rappelle les désastres occasionnés dans la capitale par une cause infiniment dispro- portionnée à ses suites cruelles, tant de scènes déplorables dans différentes provinces où le sang des citoyens a coulé par le fer des soldats et le glaive des bourreaux, on sent la nécessité de pré- venir de nouveaux accès de frénésie et de ven- geance ; car les agitations, les tumultes, les ex- cès ne servent que les ennemis de la liberté.

Mais les hommes de mauvaise foi qui affectent toujours de confondre la liberté avec les écarts de la licence ; les hommes faibles, incessamment alarmés lorsqu'on leur montre le plus précieux des biens précédé de ses dangers et des convul- sions populaires; le ralliement des partisans du pouvoir absolu, alors armés d'un prétexte ; tant d'infortunées victimes de la fureur du moment, des précautions sanguinaires ou des punitions légitimes; tous ces maux si graves ne sont pas ceux qui, dans ce moment, m'effrayent le plus.

Je considère tous les bons effets d'une marche ferme, sage et tranquille ; c'est par elle seule qu'on peut se rendre les événements favorables, qu'on profite des fautes de ses adversaires pour

le triomphe du bon droit; au lieu que, jetés peut- être hors des mesures sages, les représentants de la nation ne seraient plus les maîtres de leurs mouvements ; ils verraient d'un jour à l'autre les progrès d'un mal qu'ils ne pourraient plus arrê- ter, et ils seraient réduits au plus grand des mal- heurs, celui de n'avoir plus le choix des fautes.

Les délégués de la nation ont pour eux la sou- veraine des événements, la nécessité; elle les pousse au but salutaire qu'ils se sont proposé, elle soumettra tout par sa propre force ; mais sa force est dans la raison : rien ne lui est plus étranger que les tumultes, les cris du désordre, les agitations sans objet et sans règle. La raison veut vaincre par ses propres armes; tous ces auxiliaires séditieux sont ses plus grands en- nemis.

A qui, dans ce moment, convient-il mieux qu'aux députés de la France, d'éclairer, de cal- mer, de sauver le peuple des excès que pour- rait produire l'ivresse d'un zèle furieux ! C'est un devoir sacré pour les députés que d'inviter leur commettants à se reposer entièrement sur eux du soin de soutenir leurs intérêts, et du soin de faire triompher leurs droits en leur apprenant que, loin d'avoir aucune raison de dé- sespérer, jamais leur confiance n'a été mieux fondée. Trop souvent on n'oppose aux convul- sions que la misère ou l'oppression arrachent aux peuples, que les baïonnettes; mais les baïon- nettes ne rétablissent jamais que la paix de la terreur et le silence qui plaît au despotisme. Les représentants de la nation doivent, au contraire, verser dans les cœurs inquiets le baume adou- cissant de l'espérance, et les apaiser avec la puis- sance de la persuasion et de la raison. La tran- quillité de l'Assemblée deviendra peu à peu le fondement de la tranquillité delà France; et ses représentants prouveront à ceux qui ne connais- sent pas les effets infaillibles du régime de la liberté, qu'elle est plus forte pour enchaîner les peuples à l'ordre public que toutes les cruelles mais petites ressources du gouvernement qui ne met sa confiance que dans ses moyens de contrainte et de terreur.

11 serait donc de la prudence des représen- tants de la nation de faire une adresse à leurs commettants pour leur inspirer une confiance calme, en leur exposant la position de l'Assem- blée nationale ; pour leur recommander, au nom de leurs intérêts les plus chers, de contribuer de toute leur sagesse et de tous leurs conseils au main de l'ordre et de la tranquillité publique, à l'autorité des lois et de leurs ministres ; pour se justifier enfin à leurs yeux quels que soient les événements, en leur montrant qu'ils ont connu tout le prix de la modération et de la paix.

Voici le projet d'adresse que je présente :

Projet d'adresse de V Assemblée nationale à ses commettants.

« Messieurs, vos députés aux Etats généraux, longtemps retenus dans une inaction bien pé- nible à leur cœur, mais dont vous avez approuvé les motifs, entraient en activité par le seul moyen qui leur parût compatible avec vos intérêts et vos droits.

« La majorité du clergé s'était déclarée pour la réunion; une minorité respectable dans la no- blesse manifestait le môme vœu, et tout annon- çait à la France le beau jour qui sera l'époque de sa constitution et de son bonheur.

« Des événements que vous connaissez ont re-