Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome VIII.djvu/239

Cette page n’a pas encore été corrigée

par 20,000 âmes, ils devraient en avoir 25. Si les blancs seuls sont dans le cas d'avoir des repré- sentants, ils se réduiront par la même raison *à 2 députés. Comme je ne veux pas traiter en ce moment la question de l'abolition de l'esclavage, qui, en effet, doit être renvoyée à un temps plus calme, je vote pour 10 députés à raison de l'éten- due du commerce et de l'importance de cette colonie.

M. de Clermont-Tonncrre se borne à faire lecture de l'article de son cahier qui veut que les colonies soient regardées comme provinces.

M. Target se borne également à faire con- naître le vmu de ses commettants sur l'admis- sion des députés de Saint-Domingue ; il conclut à ce qu'ils ne soient admis que provisoirement.

M. Champion de Cieé, archevêque de Bor- deaux, demande qu'ils soient admis au nombre de douze, et les autres comme suppléants.

M. Legrand. Si l'on admettait un aussi grand nombre de représentants pour Saint-Domingue, les colonies en réclameraient en proportion, et alors ce nombre pourra s'élever à 200.

M. Garât. Cette inégalité de la représentation ne doit pas l'arrêter.

M. de Gouy-d'Arcy. Dans un moment aussi intéressant pour le bien public, je ne me per- mettrai que de dire un seul mot. J'écarterai même tous ces témoignages de respect et de vénération qu'inspire une Assemblée aussi auguste.

Ce n'est pas par ambition que la colonie a nommé trente députés et en a envoyé vingt ; elle n'a eu d'autre .vue que de coopérer au bien géné- ral, que d'apporter des lumières sur des choses inconnues dans la métropole: les cultures, les mœurs, les richesses, tout y est d'une nature différente.

Il me semble qu'il n'y a qu'une seule objection spécieuse contre la députation au nombre de vingt.

Si vous les admettez, vous a-t-on dit, vous serez obligés d'en admettre deux cents pour les autres colonies, qui ne tarderont pas à demander également une députation.

Mais à cela je répondrai que la population de Saint-Domingue, sps richesses pour la balance du commerce, et ses impôts directs et indirects, ex- cèdent de plus de la moitié les autres colonies ; ainsi donc ce ne serait pour toutes les colonies que quarante députés que vous admettriez parmi vous.

M. Lanjuinais, député de Bretagne, dit qu'il est chargé de s'élever contre l'esclavage des nè- gres, et qu'en attendant que l'humanité et la po- litique puissent prononcer sur cette question, il ne faut des représentants que pour 40,000 repré- sentés : il demande en conséquence que les nè- gres ne puissent être considérés dans le calcul du nombre des députés de la colonie, des esclaves ne pouvant être représentés par leurs maîtres.

M. Bouehe. Je propose:

1° Que le nom de provinces, îles ou possessions franco-américaines soit substitué à celui de co- lonie :

2° Que les habitants soient convoqués comme les Français ;

ARCHIVES PARLEMENTAIRES.

[27 juin 1789-1

165

3° Que les plaintes contre les administrateurs soient admises après examen ;

4» Que les Franco-Américains soient invités à fournir des mémoires sur la liberté des nègres et sur les moyens d'améliorer leur sort;

5° Que les lois prohibitives soient réformées, et que le tableau des impôts directs et indirects soit vérifié.

MM. de Clermont - Tonnerre , Target, Bfciauzat et un député de la noblesse de Tou- raine déclarent qu'ils sont chargés, par leurs cahiers, de demander que l'on s'occupe du sort des noirs.

M. de la Rochefoucauld. Le parlement d'Angleterre s'en occupe dans ce moment, et je peux vous annoncer qu'une société, formée au sein de la capitale, travaille depuis longtemps à rassembler tous les matériaux pour cet objet si digne d'être traité dans un siècle de philosophie et d'humanité ; je demande donc que l'Assemblée prenne en considération la liberté des noirs avant de se séparer.

On se dispose à aller aux voix sur le second point, savoir quel nombre de députés serait reçu, lorsqu'on annonce que MM. du clergé et de la noblesse non réunis vont se rendre dan3 l'Assem- blée : ce qui suspend la décision.

Il est 4 heures.

M. le comte de Mirabeau. On vous a annoncé que le Roi venait d'écrire à la majorité de la no- blesse et à la minorité du clergé non réunis, pour les inviter à se rendre enfin dans le sein de l'As- semblée nationale.

C'est sur cette circonstance que je demande la parole.

Messieurs, je sais que les événements inopinés d'un jour trop mémorable ont affligé les cœurs patriotes, mais qu'ils ne les ébranleront pas. A la hauteur où la raison a placé les représentants de la nation, ils jugent sainement les objets et ne sont point trompés par les apparences qu'au tra- vers des préjugés et des passions on aperçoit comme autant de fantômes.

Si nos rois, instruits que la défiance est la pre- mière sagesse de ceux qui portent le sceptre, ont permis à de simples cours de judicature de leur présenter des remontrances, d'en appeler à leur volonté mieux éclairée ; si nos rois, persuadés qu'il n'appartient qu'à un despote imbécile de se croire infaillible, cédèrent tant de fois aux avis de leurs parlements, comment le prince qui a eu le noble courage de convoquer l'Assemblée nationale n'en écoûterait-t-il pas les membres avec autant de faveur que des cours de judica- ture, qui défendent aussi souvent leurs intérêts personnels que ceux du peuple ? En éclairant la religion du Roi, lorsque des conseils violents l'auront trompé, les députés du peuple assureront leur triomphe ; ils invoqueront toujours la bonté du monarque ; et ce ne sera pas en vain, dès qu'il aura voulu prendre sur lui-même de ne se fier qu'à la droiture de ses intentions et de sortir du piège qu'on a su tendre à sa vertu. Us ont été calmes dans un moment orageux, ils le seront toujours-, et ce calme est le signe non équivoque du courage.

Mais la journée du 23 juin a fait sur ce peuple, inquiet et malheureux, une impression dont je crains les suites.

Où les représentants de la nation n'ont vu qu'une erreur de l'autorité, le peuple a cru voir