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« Monsieur le président, c’est avec la douleur la plus vraie que nous sommes déterminés à une démarche qui nous éloigne dans ce moment d’une Assemblée pour laquelle nous sommes pénétrés de respect, et dont chaque membre a des droits personnels à notre estime ; mais nous regardons comme un devoir indispensable de nous rendre dans la salle où se trouve réunie la pluralité des Etats généraux. Nous pensons qu’il ne nous est plus permis de différer un instant de donner à la nation une preuve de zèle, et au Roi un témoignage de notre attachement pour sa personne, en proposant et procurant , dans les affaires qui regardent le bien général, une réunion d’avis et de sentiments que Sa Majesté regarde comme nécessaire dans la crise actuelle, et comme devant opérer le salut de l’Etat.

« Le plus ardent de nos vœux serait sans doute de voir noire façon de penser adoptée par la Chambre de la noblesse tout entière : c’est sur ses pas que nous eussions voulu marcher ; et le parti quenous nous voyons obligés de prendre sans elle est sans contredit le plus grand acte de dévouement dont l’amour de la patrie puisse nous rendre capables ; mais dans la place que nous occupons, il ne nous est plus permis de suivre les règles qui dirigent les hommes privés ; le choix de nos concitoyens a fait de nous des hommes publics ; nous appartenons à la France entière, qui veut par-dessus tout des Etats généraux, et à des commettants qui ont le droit d’y être représentés.

« Tels sont, Monseur le président, nosmotifs et notre excuse ; nous eussionseul’honneurde porter nous-mêmes à la Chambre de la noblesse la résolution que nous avons prise ; mais vous avez assuré l’un de nous 1 qu’il était plus respectueux pour elle de remettre notre déclaration entre vos mains ; nous avons en conséquence l’honneur de vous prier de vouloir bien lui en rendre compte. » M. le comte de Lally-Tolendal demande à faire connaître son opinion au sujet de la séance royale du 23 juin, et prononce le discours suivant :

M. le comte de Lally-ToIIcndal (i). Messieurs, en réduisant les différentes déclarations qui nous ont été lues hier, on peut y distinguer deux objets.

1° Un nouveau plan de conciliation que le Roi nous offre sur les divisions qui séparent les ordres, et qui empêchent les Etats généraux de commencer.

2° Des instructions sur les différents travaux auxquels nous devons nous livrer, quand les Etats seront commencés et sur les différentes lois que nous pourrons avoir à proposer ou consentir.

L’un et l’autre de ces objets nous ont certainement présenté plusieurs grandes vues de justice et de bienfaisance. Plus d’une disposition nous a frappé par sa sagesse, plus d’une expression a retenti et retentit encore au fond, de nos âmes ; mais je ne sais quel mélange semblait aussi altérer quelquefois la pureté du bienfait. Des dispositions étaient contrariées par d’autres ; on eût dit que le cœur noble et sensible de Sa Majesté avait été arrêté au milieu des mouvements généreux auxquels il s’abandonne.

Ainsi, tandis que le Roi nous invitait encore, nous pressait encore de tout son amour, suivant l’expression qu’aucun de nous n’a oubliée, d’adop-

(1) Le discours de M. le comte de Lally-Tollendal S’a pas été inséré au Moniteur*

ter un nouveau plan d’union, on prononçait en son nom, au milieu de l’Assemblée nationale, des ordres, des défenses et des cassations.

Ainsi ces instructions si touchantes en elles-mêmes, ces projets qu’il nous donnait pour nos lois futures, on les intitulait : Déclaration des volontés du Roi. 11 était évident dès hier que c’était une erreur ministérielle ; le Roi, qui jusqu’ici a si constamment honoré son caractère et son cœur en défendant notre liberté contre nous-mêmes, ne pouvait pas avoir eu l’idée de venir au milieu des Etats libres et généraux, nous déclarer sa volonté, sur des points que nous n’avions pas encore mis en délibération. L’acte sur lequel reposera la constitution ne peut pas être intitulé : Déclaration des volontés du Roi ; il doit être intitulé : Déclaration des droits de la nation, du Roi et des individus. Quelque juste, quelque bienfaisant que fût un pareil acte, avec le titre sous lequel il a été produit, ce que nous ne tiendrions que de la volonté d’un monarque, nous pourrions le perdre par la volonté d’un autre moins vertueux, moins sensible que celui qui nous gouverne.

Mais le Roi, dans sa bonté, a pu nous tendre un fil pour nous aider à sortir du labyrinthe où nos divisions nous ont engagés ; il a pu rappeler notre attention à tous les objets qui devaient l’occuper ; il a pu nous annoncer enfin ses dispositions sur les vœux que nous avions à former ; et, sous cet aspect, c’est une sollicitude paternelle, c’est un avis salutaire ; ce sont des institutions bienfaisantes qui doivent nous pénétrer de la plus tendre et de la plus respectueuse reconnaissance.

Il serait prématuré de s’occuper dans ce moment, de tous les articles contenus dans les instructions, soit pour les lumières à tirer du fond, soit pour les réclamations que la forme peut nécessiter. Avant de songer aux objets de délibération, il faut avoir une forme de délibérer ; avant que les Etats généraux fassent des lois, il faut qu’ils existent.

Le nouveau plan de conciliation, proposé par le Roi, doit donc seul dans ce moment fixer toute notre attention, et j’adopte entièrement, à cet égard, la résolution proposée par M. le comte de Tonnerre.

Donnons au Roi, Messieurs, celte consolation ; donnons-lui cette juste récompense de ses soins paternels : que pour prix de ses bienfaits, il ne recueille pas toujoursl’amertume. Allons au tiers, allons-y tous ; portons-lui nous-mêmes cette communication de nos pouvoirs que le Roi nous invite à lui donner. Délibérons-y même, si vous le voulez, sur ce qui s’est passé hier. Le Roi nous a invités encore à délibérer en commun sur les objets qui intéresseraient le bonheur général ; or, quels objets intéressent plus le bonheur général, que ceux qui ont rempli cette séance et les bienfaits du Roi, ei ; les droits de ses sujets, et les moyens de concilier l’exercice de l’autorité légitime avec la liberté des Assemblées nationales.

Nous remonterons ensuite dans notre Chambre ; nous nommerons des commissaires ; nous nous occuperons des moyens d’opérer une réunion constante. Mais je regarde ce grand exemple de notre part ; je regarde cet acte imposant de patriotisme comme seuls capables d’amener le tiers à adopter les mêmes vues de conciliation. C’est par là seulement, c’est par ce mouvement entraînant que nous le vaincrons, et non par des conférences de commissaires dont l’inefficacité nous est assez prouvée, En tin c’est par là seule-