Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome VIII.djvu/220

Cette page n’a pas encore été corrigée

et connaissant vos cahiers, connaissant l’accord parfait qui existe entre le vœu le plus général de la nation et mes intentions bienfaisantes, j’aurai toute la contiance que doit inspirer une si rare harmonie, et je marcherai vers le but auquel je veux atteindre avec tout le courage et la fermeté qu’il doit m’inspirer.

Réfléchissez , Messieurs , qu’aucun de vos projets, aucune de vos dispositions ne peut avoir force de loi sans mon approbation spéciale. Ainsi, je suis le garant naturel de vos droits respectifs ; et tous les ordres de l’Etat peuvent se reposer sur mon équitable impartialité.

Toute défiance de votre part serait une grande injustice. C’est moi, jusqu’à présent, qui fais tout le bonheur de mes peuples ; et il est rare peut-être que l’unique ambition d’un souverain soit d’obtenir de ses sujets qu’ils s’entendent enfin pour accepter ses bienfaits.

Je vous ordonne, Messieurs, de vous séparer tout de suite, et de vous rendre demain matin chacun dans les Chambres affectées à votre ordre, pour y reprendre vos séances. J’ordonne, en conséquence, au grand-maître des cérémonies de faire préparer les salles.

Après le départ du Roi, les députés de la noblesse et une partie de ceux du clergé se retirent, tous les membres de l’Assemblée nationale et plusieurs curés restent immobiles à leur place.

M. le comte de Mirabeau, élevant la voix Je premier dit, (1) : J’avoue que ce que vous venez d’entendre pourrait être le salut de la patrie si les présents du despotisme n’étaient pas toujours dangereux. Quelle est cette insultante dictature ? l’appareil des armes, la violation du temple national, pour vous commander d’être heureux ? Qui vous fait ce commandement ? Votre mandataire. Qui vous donne des lois impérieuses ? Votre mandataire, lui qui doit les recevoir de vous, de nous, Messieurs, qui sommes revêtus d’un sacerdoce politique et inviolable ; de nous enfin, de qui seuls vingt-cinq millions d’hommes attendent un bonheur certain, parce qu’il doit être consenti, donné et reçu par tous. Mais la liberté de vos délibérations est enchaînée, une force militaire environne l’Assemblée. Où sont les ennemis de la nation ? Catilina est-il à nos portes ? Je demande qu’en vous couvrant de votre dignité, de votre puissance législative, vous vous renfermiez dans la religion de votre serment ; il ne nous permet de nous séparer qu’après avoir fait la constitution.

Quelque temps après, le marquis de Brézé s’approche du président, et dit :

Messieurs, vous avez entendu les intentions du Roi. »

M. le comte de Mirabeau se lève avec le ton et les gestes de l’indignation, et répond ainsi ;

Oui, Monsieur, nous avons entendu les intentions qu’on a suggérées au Roi ; et vous, qui ne sauriez être son organe auprès des Etats généraux ; vous, qui n’avez ici ni place, ni droit de parler, vous n’êtes pas fait pour nous rappeler son discours. Cependant, pour éviter tout équivoque et tout délai, je déclare que si l’on vous a chargé de nous faire sortir d’ici, vous devez demander des ordres pour employer la force ; car

(1) Le discours de M. le comte de Mirabeau n’a pas été inséré au Moniteur.

nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes (1).

D’une voix unanime les députés se sont écriés : Tel est le vœu de l’Assemblée.

Le grand-maître des cérémonies se retire.

Un morne silence règne dans l’Assemblée.

M. Camus. Le pouvoir des députés composant cette Assemblée est reconnu ; il est reconnu aussi qu’une nation libre ne peut être imposée sans son consentement. Vous avez donc fait ce que vous deviez faire : si, dès nos premiers pas, nous sommes arrêtés, que sera-ce pour l’avenir ! Nous devons persister, sans aucune réserve, dans tous nos précédents arrêtés.

M. Barnave. Votre démarche dépend de votre situation ; vos arrêtés dépendent de vous seuls. Vous avez déclaré ce que vous êtes ; vous n’avez pas besoin de sanctiou : l’octroi de l’impôt dépend de vous seuls. Envoyés par la nation, organes de ses volontés pour faire une constitution, vous êtes obligés de demeurer assemblés aussi longtemps que vous le croirez nécessaire à l’intérêt devo3 commettants. Il est de votre dignité de persister dans le titre & Assemblée nationale.

M. Gleizen, député de Rennes, ayant parlé des applaudissements indiscrets de guelques membres des deux premiers ordres, ajoute : Le pouvoir absolu est dans la bouche du meilleur des Rois, dans la bouche d’un souverain qui reconnaît que le peuple doit faire ses lois. C’est un lit de justice tenu dans une Assemblée nationale : c’est un souverain qui parle en maître, quand il devrait consulter. Que les aristocrates triomphent ; ils n’ont qu’un jour : le prince sera bientôt éclairé. La grandeur de notre courage égalera la grandeur des circonstances. Il faut mourir pour la patrie. Vous avez pris, Messieurs, des délibérations sages ; un coup d’autorité ne doit pas vous effrayer.

M. l’Abbé Sleycs. Messieurs, noussommea aujourd’hui ce que nous étions hier. Délibérons.

MM. Pétion de Villeneuve, Buzot, Garât l’aîné et l’abbé Grégoire appuient avec énergie le parti proposé.

M. l’nbbé Siéyès<2). Messieurs, quelque orageuses que paraissent les circonstances, nous avons toujours une lumière pour nous guider. Demandons-nous quels pouvoirs nous exerçons et quelle mission nous réunit ici de tous les points de la France. Ne sommes-nous que des mandataires, des officiers du Roi ? nous devons obéir et nous retirer. Mais, sommes-nous les envoyés du peuple, remplissons notre mission, librement, courageusement.

Est-il un seul d’entre nous qui voulût abjurer la haute confiance dont il est revêtu et retourner vers ses commettants, leur dire : j’ai eu peur, vous aviez remis dans de trop faibles mains les. destinées de la France ; envoyez à ma place un homme plus digne de vous représenter ?

(1) Le recueil des discours de Mirabeau, publié par M. Barthe donne la variante suivante : « Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la puissance du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la force des baïonnettes. »

(2) Le discours de M. Sieyès n’a pas été inséré au Moniteur.