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tants connus do la. nation. Supposons que vous ayez à vous adresser au Roi, oseriez- vous lui ’ire que vous èles les seuls représentants de la ition qui soient connus de Sa Majesté ? Lui,diîez-vous qu’il ne connaît pas les députés du clergé, qu’il ne connaît pas ceux de la noblesse pour des représentants de la nation, lui qui les a convoqués comme tels, lui qui a désiré qu’ils lui fussent présentés comme tels, lui qui les a fait appeler comme tels, lui qui les a présidés ainsi que nous, dans l’Assemblée nationale, lui enfui, qui a reçu leurs discours, leurs adresses comme les nôtres, et qui les a constamment désignés par des ternies équivalents à ceux dont il s’est servi avec nous.

Le titre que je vous propose, ce titre que vous réprouvez, n’a point l’inconvénient de s’appliquer à d’autres qu’à nous, il ne convient qu’à nous, il ne nous sera disputé par personne. Les représentants du peuple français ! Quel titre pour des hommes qui comme vous aiment le peuple, qui sentent comme vous ce qu’ils doivent au peuple 1

3° Cette même motion que je combats, tout en vouant mon estime, mon respect à celui qui l’a proposée, vous appelle les représentants vérifiés de la nation, comme si les autres représentants n’avaient pasété aussi vérifiés ; comme s’il pouvait leur être défendu de s’appeler, ainsi que nous, les représentants vérifiés, parce qu’ils n’ont pas été vérifiés à notre manière.

4° Cette même motion tire une conséquence qui n’a aucun rapport avec les premières. Consultez celle-ci, on croirait que vous allez vous constituer en Assemblée nationale, en Etats généraux. C’est ce qui résulte de cette phrase remarquable : // appartient à cette Assemblée, il n’appartient quii elle d’interpréter et de présenter la volonté générale de la nation. Est-ce là cependant ce qu’on nous propose ? Est-ce la conclusion que, selon la motion, vous devez tirer du principe ? Non, vous allez vous déclarer les représentants connus et vérifiés de la nation. Vous laissez à ce qu’il vous plaît d’appeler les représentants non connus, non vérifiés, le soin de fixer à leur tour les qualifications dont il leur plaira de se décorer.

5° Cette même qualification ne porte que sur une simple dispute de forme, dans laquelle notre droit n’est fondé que sur des arguments très-subtils, quoique très- solides, et non sur une loi positive.

La mienne porte sur un fait, un fait authentique, indéniable : c’est que nous sommes les représentants du peuple français.

6° Cette môme qualification est d’une telle faiblesse, comme l’a observé un des préopinants (M. Thouret), que dans le cas, très-aisé à supposer, où ies députés du clergé et de la noblesse se détermineraient à venir dans notre salle pour faire vérifier leurs pouvoirs, et retourneraient ensuite dans leurs Chambres respectives pour y opiner par ordre, cette qualification ne pourrait plus nous convenir.

Celle que je vous propose nous convient dans tous les temps, dans tous les cas, et même dans celui où, comme nous le désirons tous, les députés des trois ordres se réuniraient formellement dans cette salle en Etats généraux, pour y voler par tête, et non par ordre.

On vous a dit, Messieurs, on l’a dit au public, on en a fait une espèce de cri d’alarme contre ma motion, qu’elle tendait à chambrer les Ktats généraux, à autoriser la distinction des ordres. Mais moi, je vous le demande, je le demande à tous ceux qui m’ont entendu, a tous ceux qui m’ont

lu ou qui liront ma motion : où s’y trouve cette distinction des ordres, cette nécessité des Chambres ?

Peut-on ainsi, en prenant une partie de 

cette motion, passer l’autre sous silence ? Je vous ai déjà rappelé les termes dont je me suis servi ; je vous ai dit, et j’ai exprimé de la manière là plus forte, que les deux ordres qui veulent s’isoler du peuple ne sont rien quant à la constitution, tant qu’ils veulent être étrangers au peuple ; qu’ils ne peuvent avoir une volonté séparée de la sienne ; qu’ils ne peuvent ni s’assembler, ni exercer un veto, ni prendre des résolutions séparées.

Voilà le principe sur lequel ma motion est fondée, voilà le but où elle tend, voilà ce que, à moins de s’aveugler volontairement, tout homme de sens y trouvera.

Si je voulais employer contre les autres motions les armes dont on se sert pour attaquer la mienne, ne pourrais-je pas dire à mon tour : de quelque manière que vous vous qualifiiez, que vous soyez les représentants connus et vériliés de la nation, les représentants de 25 millions d’hommes, les représentants de la majorité du peuple, dussiez -vous même vous appeler l’Assemblée nationale, les Etats généraux, empêcherez-vous les classes privilégiées de continuer des Assemblées que Sa Majesté a reconnues ? Les empêcherez-vous de prendre des délibérations ? Les empêcherez-vous de prétendre au veto ? Empêcherez-vous Je Roi de les recevoir, de les reconnaître, de leur continuer les mômes titres qu’il leur a donnés jusqu’à présent ?

Enfin, empêcherez-vous la nation d’appeler 

le clergé, le clergé ; la noblesse, la noblesse ?

On a cru m’opposer le plus terrible dilemme, en disant que le mot peuple signifie nécessairement ou trop ou trop peu ; que si on l’explique dans le même sens que le latin populus, il signifie la nation, et qu’alors il a une acception plus étendue que le titre auquel aspire la généralité de l’Assemblée ; que si on l’entend dans un sens plus restreint, comme le latin plebs, alors il suppose des ordres, des différences d’ordres, et que c’est là ce que nous voulons prévenir. On a même été jusqu’à craindre que ce mot ne signifiât ce que les Latins appelaient vulgus, ce que les Anglais appellent mob, ce que les aristocrates, tant nobles que roturiers, appellent insolemment canaille.

A cet argument je n’ai que ceci à répondre : c’est qu’il est infiniment heureux que notre langue, dans sa stérilité, nons ait fourni un mot que les autres langues n’auraient pas donné dans leur abondance ; un mot qui présente tant d’acceptions différentes ; un mot qui, dans ce moment où il s’agit de nous constituer sans hasarder le bien public, nous qualifie sans nous avilir, nous désigne sans nous rendre terribles ; un mot qui ne puisse nous être contesté, et qui, dans son exquise simplicité, nous rende chers à nos commettants sans effrayer ceux dont nous avons à combattre la hauteur et les prétentions ; un mot qui se prête à tout, qui, modeste aujourd’hui, puisse agrandir notre exissence à mesure que les circonstances, le rendront nécessaire, à mesure que, par leur obstination, par leurs fautes, les classes privilégiées nous forceront à prendre en main la défense des droits nationaux, de la liberté du peuple.

Je persévère dans ma motion et dans la seule expression qu’on avait attaquée, je veux dire la qualification de peuple français. Je l’adopte, je - la défends, je la proclame par la raison qui la fait combattre.

Oui, c’est parce que le nom de peuple n’est pa»