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ici la langue de la liberté, et je m’appuyais sur l’exemple des Anglais, sur celui des Américains, qui ont toujours honoré le nom de peuple, qui l’ont toujours consacré dans leurs déclarations, dans leurs lois, dans leur politique. Quand Ghatham renferma dans un seul mot la charte des nations et dit la majesté du peuple ; quand les Américains ont opposé les droits naturels du peuple à tout le fatras des publicistes sur les conventions qu’on leuroppose, ils ont reconnu toute la signification, toute l’énergie de cette expression à qui la liberté donne tant de valeur. Est-ce, Messieurs, à l’école des Anglais et des Américains que j’aurais à employer ce nom d’une manière suspecte qui blessât la délicatesse des représentants nationaux, et que je serais devenu moins jaloux qu’eux de la dignité de notre Assemblée ? JNon, je ne le pense pas ; je n’imagine pas même que’je puisse être accusé de dégrader le peuple, si je réfute l’opinion hasardée d’un préopinant dont la jeunesse peut bien ajouter à mon estime pour ses talents, mais n’est pas un titre pour m’en imposer.

11 répond à ce que j’ai dit sur la nécessité de la sanction royale, que lorsque le peuple a parlé, il ne la croit pas nécessaire. Et moi, Messieurs, je crois le veto du Roi tellement nécessaire que j’aimerais mieux vivre à Gonslantinople qu’en France, s’il ne l’avait pas : oui, je le déclare pour la seconde fois, je ne connaîtrais rien de plus terrible que l’aristocratie souveraine de six cents personnes qui demain pourraient se rendre inamovibles, après-demain héréditaires, et finiraient, comme les aristocrates de tous les pays du monde, par toute envahir. Mais, Messieurs, puisque ma motion a été mal comprise, je dois la défendre avec des raisons plutôt qu’avec des récriminations ou des exemples tirés des langues étrangères. Je dois vous montrer en quoi elle ressemble à toutes les autres, et vous prouver que dans les points où elle en diffère, elle présente de grands avantages ; tant que nous sommes ici des individus qui exposons notre sentiment, mon devoir m’impose de défendre le mien, et il n’appartient qu’à la décision de l’Assemblée de me soumettre.

Plus je considère les différentes motions entre lesquelles vous avez à vous déterminer, plus je me pénètre de cette incontestable vérité, c’est qu’elles se rapprochent, c’est qu’elles coïncident en ces points essentiels :

1° L ;i nécessité de se constituer promptement en Assemblée active. Cette nécessité est reconnue par M. l’abbé Sieyès, par M. Mounier, elle l’est par ma motion, qui tend à nous préserver des malheureux effets que pourrait avoir une plus longue durée de l’inaction à laquelle nous avons été jusqu’à présent forcés par la persévérance des classes privilégiées, leur refus de se réunir.

2o L’aveu que notre Assemblée n’est et ne peut être les Etats généraux. Aucun de nous n’ose nous donner ce titre. Chacun sent qu’il n’appartient qu’à une Assemblée de députés des Etats des trois ordres. Ici encore, M. l’abbé Sieyès, M. Mounier et moi, nous nous rencontrons parfaitement.

3° L’avantage qu’il y aurait à trouver quelque autre dénomination sous laquelle cette Assemblée puisse être constituée , et qui, eans équivaloir à celle d’Etats généraux, soit cependant suffisante pour la mettre en activité.

Ici nous sommes d’accord ; car soit que nous appelions les représentants connus et vérifiés de la nation les représentants de la majeure partie

de la nation, ou les représentants du peuple, notre but est le même ; toujours nous réunissons-nous contre la qualification également absurde et déplacée ftEtats généraux ; toujours cherchons-nous, en excluant ces titres, à en trouver un qui aille au grand but de Vactivité, sans avoir le funeste inconvénient de paraître une spoliation des deux autres ordres, dont, quoique nous fassions, nous ne pourrons nous dissimuler l’existence, bien que nous nous accordions à penser qu’ils ne peuvent rien par eux-mêmes.

4° Le quatrième point sur lequel nous sommes d’accord, c’est la nécessité de prévenir toute opinion par Chambre, toute scission de l’Assemblée nationale, tout veto des ordres privilégiés.

Ici encore je me plais à rendre hommage aux autres motions ; mais sans croire qu’elles aient pourvu à ce mal que nous craignons tous, avec plus d’énergie que je ne l’ai fait. En est-il une qui ait plus fortement exprimé que la mienne l’intention de communiquer, non avec les autres ordres, mais directement à Sa Majesté, les mesures que nous estimons nécessaires à la régénération du royaume ? En est-il une qui rejette plus fortement que la mienne tout veto, c’est-à-dire tout droit par lequel les députés des classes privilégiées, en quelque nombre qu’ils soient, voudraient s’opposer par des délibérations séparées, prises hors de l’Assemblée nationale, à ce qui serait jugé nécessaire pour le bien général de la France ?

Nous sommes donc d’accord sur ces quatre points vraiment cardinaux, vraiment nécessaires, qui devraient nous servir à tous de signal de ralliement.

En quoi différons-nous ? Qu’est-ce qui peut justifier cette chaleur, cet éloignement que nous marquent les uns pour les opinions des autres ? Comment se fait-il que ma motion, si clairement fondée sur les principes, qui les met au-dessus de toute atteinte, si explicite, si satisfaisante pour tout homme qui déteste comme moi toute espèce d’aristocratie, comment se peut-il que cette motion ait été présentée comme si étrange, si peu digne d’une Assemblée d’amis, de serviteurs de ce peuple qui nous a chargés de le défendre ?


1° Un défaut commun aux dénominations que j’attaque, c’est qu’elles sont longues, c’est qu’elles sont inintelligibles pour cette portion immense des Français qui nous ont honorés de leur confiance. En est-il un seul qui puisse se faire une idée juste de ce que c’est que les représentants connus et vérifiés de la nation ? En est-il un seul qui vous comprenne, quand vous lui direz que vous êtes « l’Assemblée formée par les représentants de la plus grande partie de la nation, et par la majorité de tous les députés envoyés aux Etats généraux dûment invités, délibérant en l’absence de la minorité dûment invitée ? »

A ces titres énigmatiques, à ces doubles logogryphes, substituez : les représentants du peuple français, et voyez quelle dénomination offre la définition la plus claire, la plus sensible, la plus propre à nous concilier nos commettants mêmes ?

2° Un défaut particulier à une de ces deux motions, c’est qu’elle nous donne un nom qui ne nous désigne pas seuls, qui, par conséquent, ne nous distingue pas, qui peut convenir aux députés des autres ordres, des autres Chambres, aux députés des classes privilégiées , suivant qu’il vous plaira les appeler : car ils peuvent aussi bien que nous se dénommer les représen-