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moi-même, m’impose l’obligation de ne pas fléchii’ davantage sous le despotisme de plusieurs que sous celui d’un seul ; je demande donc qu’en continuant aujourd’hui la discussion des motions proposées, on en renvoie ce soir l’examen dans les bureaux, et que la délibération définitive soit remise à demain.

Je ais vous rendre compte maintenant, Messieurs, de mes observations sur les différents modes du constitution qui nous ont été proposés.

De grands principes viennent d’être établis avec une grande éloquence ; et je vois dans les motions, dans les avis des préopinants, plus de vérité à recueillir qu’à censurer.

J’adhère aux propositions qui nous déclarent ce que nous sommes en effet, les représentants de la majeure partie de la nation, où les représentants du peuple, en ajoutant qu’en aucun temps, dans aucun cas, nous ne devons reconnaître les séparations des ordres, ni leur prévention négative ; et je me félicite d’avoir développé les mêmes principes dans un plan connu de plusieurs de nos collègues, dont j’ai communiqué les détails et remis le précis au’ bureau, il y a déjà trois semaines ; il était conçu en ces termes :

Nous ne pouvons renoncer au principe de l’indivisibilité des Etats généraux ; mais nous ne pouvons ni ne devons déclarer que nous les représentons seuls.

Nous constituer Assemblée nationale, sans égard au clergé et à la noblesse, serait une scission désastreuse qui produirait la dissolution des Etats généraux. Nous soumettre aux formes vicieuses des précédents Etats généraux, ce serait annuler notre double représentation, et nous priver des moyens de réformer les abus les plus onéreux au peuple.

Prendre un parti qui ne compromette point nos droits, qui n offense ceux de personne, et qui nous mette en état d’agir en développant notre caractère national dans toute sa dignité, est le seul conseil que nous puissions recevoir de la raison, d’une prudente fermeté, le seul qui convienne aux dangers de notre position et au salut de la chose publique. Tel est l objet d’une grande députation au Roi, en lui présentant une adresse qui réunît trois grandes intentions, un monument de nos hommages et de notre fidélité au Roi ; un acte déclaratoire des droits, des vœux et des espérances de la nation ; une assertion de notre indépendance des ordres privilégiés, comme représentants du peuple, et de notre volonté d’agir eu cette qualité vis-à-vis du monarque, sans rompre avec le clergé et la noblesse, sans nous séparer d’eux s’ils veulent s’unir à nous, et sans reconnaître aucun pouvoir négatif entre le trône et nous.

Cette seule déclaration serait un premier monument des droits de la nation, et un grand pas de fait vers une constitution. Elle nous met sur-le-champ en activité, sans que les ordres privilégiés puissent nous imputer une scission, et sans nous subordonner à leurs prétentions.

J’ai eu occasion de vous dire depuis que nous ne devions point adopter un mode de constitution sans savoir où. il nous conduit et ce que nous en pouvons faire. Or, je ne vois point de sûreté dans le premier mode de constitution qui vous a été proposé.

Il semble qu’on vous suppose, Messieurs, étrangers à toutes les considérations, indépendants de tous les obstacles, dominant toutes les volontés, et arrivant au milieu des siècles sans égard au passé, sans inquiétude pour l’avenir.

Ce n’est point là, Messieurs, notre position-Nous ne sommes point un peuple nouveau sur lequel les lois, les coutumes, les préjugés môme n’aient aucune influence. Nous sommes députés aux Etats généraux. Mais que sont les Etats généraux ?

c’est la réunion des députés du clergé, de 

la noblesse et des communes. Le clergé, la noblesse prétendent que les Etats généraux ont toujours existé en ordres séparés. Nous prétendons avec plus de fondement le contraire. Mais notre assertion peut-elle devenir subitement une loi ? Hier, aujourd’hui, nous sommes encore les députés des communes. Un simple acte de notre volonté pourrait-il nous transformer en Assemblée nationale ? Et comment un des préopinants a-t-il pu nous dire que quelque titre, quelque constitution nominale que nous donnions à notre Assemblée, la sanction royale lui est inutile, que cette dénomination môme devient indifférente au monarque ? Le Roi nous appellera, dit-il, le tiersétat ; et nous, nous prendrons la qualité de représentants de la nation. Mais depuis quand le chef et les représentants d’une nation peuvent-ils, sans incouvénients , être discords sur leurs qualités respectives ? Prenez bien garde, Messieurs, qu’ici les qualités établissent les droits, qu’agissant pour et au nom de nos commettants, nous avons un exercice libre et légitime de nos pouvoirs ; mais que pour peu que nous les établis" sions d’une manière équivoque, soit en les exagérant, soit en les.réduisant au moindre terme, nous nous trouverons dans l’impuissance de les développer et de les employer utilement.

Instruits par nos malheurs passés , sans doute nous ne devons pas renouveler aux yeux de l’Europe étonnée le spectacle déplorable des précédents Etats généraux. Sans doute, il ne faut plus qu’on reproche aux représentants de la nation de subordonner l’intérêt général aux intérêts privés des différentes classes qui la composent, et de reconnaître dans les premiers ordres un droit qui appartient exclusivement au monarque, celui de rejeter ou de sanctionner les lois et les impôts consentis ou proposés par l’Assemblée nationale. Mais n’oublions pas que le clergé et la noblese, appelés comme nous à la régénération de l’Etat, ont droit , comme nous , à cette haute destinée. Malheur à ceux qui voudraient dissoudre une aussi sainte communauté !

Sans doute, ce serait la dissoudre que de nous ramener impérieusement aux réformes exclusives et aux tristes époques de notre abaissement et de notre nullité. Sans doute, le peuple français ne doit plus subir le joug de ces usages funestes qui ont trop longtemps usurpé l’autorité des lois. Il doit au moins se préserver de leurs déplorables effets : et pour cela, Messieurs, quel moyen, quelle précaution nous est nécessaire ? Une seule : la volonté ferme, inébranlable de nous y soustraire ; la déclaration de cette volonté. Là se trouvent nos droits et nos pouvoirs ; au delà en est l’abus. Là, sans attenter aux droits d’autrui, nous manisfestons avec dignité, avec la puissance de la raison , avec celle de la volonté d’un grand peuple, nous manifestons , dis-je, un caractère vraiment national, qui ne peut nous être contesté. Voulez-vous l’agranlirpar déplus imposantes dénominations ?

Votre force devient faiblesse, et vos 

paroles restent sans moyens.

Qu’est-ce en effet que la constitution d’une Assemblée quelconque ? C’est la déclaration de son existence légale, conformément à une loi déjà faite, ou conformément à une loi qu’on a le pouvoir de faire actuellement.