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giées qui semblent obstinées maintenant dans le parti qu’elles ont adopté.

Croit-on que lorsque nous prouverons à la noblesse, qui opère principalement ici la division qui nous afflige (et certes je pense qu’on peut arriver jusqu’à la démonstration sur ce point), croit-on, dis-je, que lorsque nous lui prouverons que la distinction des ordres est la cause cachée de tous les malheurs de la monarchie depuis

filusieurs siècles, le principe générateur de tous es abus, l’éternel obstacle à toutes les révolutions utiles ; croit-on que lorsque nous lui ferons connaître qu’avec cette distinction des ordres, la liberté surtout est impossible, elle ne se hâtera pas de l’abandonner comme un préjugé malheureux qu’elle a conservé trop longtemps.

Les nobles désirent non moins que nous la liberté, car il est honteux aujourd’hui de ne pas souhaiter la liberté. Or, quand vous montrerez qu’en s’obstinant dans leurs erreurs, ce sont des fers qu’ils forgent pour une nation à peine échappée à sa longue servitude, j’en ai pour garant l’honneur qui vit dans leurs âmes, pensez-vous qu’ils ne frémiront pas plus que vous encore des conséquences funestes que leur obstination pourrait avoir ? Et pouvez-vous imaginer que, sous les yeux de l’Europe qui les jugera avec toute la sévérité qu’exigent les intérêts majeurs qui nous occupent, ils voudront encourir le blâme à jamais ineffaçable d’avoir" empêché autant qu’il était en eux la restauration d’un grand peuple marchant de concert vers le système d’une liberté raisonnable, et travaillant à se donner des lois qui puissent servir d’encouragement et de modèle aux autres peuples opprimés comme lui.

Au reste, quand mes conjectures à cet égard ne seraient pas fondées, il y aurait encore cela d’utile dans l’exposé des motifs que je vous propose ; que, par ce moyen, vous vous rallierez avec force à l’opinion publique. Et vous savez que ce n’est que par l’opinion publique que vous pouvez acquérir quelque pouvoir pour faire le bien ; vous savez que ce n’est que par elle que la cause si longtemps désespérée du peuple a prévalu ; vous savez que devant elle toutes les autorités se taisent, tous les préjugés disparaissent, tous les intérêts particuliers s’effacent.

Vous ferez donc une chose aussi sage qu’utile en vous investissant, pour ainsi dire, de toute sa puissance, au moment où, par un acte solennel, vous déciderez votre marche dans la carrière politique.

D’après ces diverses considérations, j’adopte l’arrêté de M. Sieyès , sauf les mots vérifiés et connus, que je crois devoir en retrancher ; mais je voudrais en même temps, qu’aussitôt que l’Assemblée des représentants de la nation sera constituée, ellenommequelquespersonnes pour rédiger et mettre ensuite sous les yeux du Roi et de la nation un exposédes motifs qui l’ont portée à se constituer de cette manière ; exposé dans lequel on traiterait avec l’étendue et la dignité convenables l’importante question de la délibération par tête, de la séparation ou la distinction des ordres dans l’Assemblée nationale, et où l’on s’attacherait à déterminer avec la plus grande clarté les effets politiques et moraux que la distinction des ordres doit produire.

M. Chapelier parle ensuite. Son avis est à peu près conforme à celui de M. l’abbé Sieyès ; il propose ce seul changement, qu’au lieu des représentants connus et vérifiés de la nation française, on substitue les représentants de la nation française légalement vérifiés.

Ce changement est appuyé par plusieurs membres, et généralement approuvé.

M. Thouret défend la motion de M. Mounier ; il attaque celle deM. de Mirabeau, comme embrassant trop ou trop peu : car, a-t-il dit, si, par le mot peuple, vous entendez ce que les Romains appelaient plebs, vous admettez dès lors la distinction des ordres ; si ce mot répond à celui de populus, vous étendez trop loin le droit et l’intention des communes.

Passant ensuite à la discussion de la motion de M. l’abbé Sieyès, il la combat. Puisque nous devons nous constituer, a-t-il dit, il faut nous constituer de telle sorte que si le clergé et la noblesse se réunissent à nous, nous ne nous trouvions pas dans la nécessité de changer de constitution.

M. de Mirabeau prend de nouveau la parole pour défendre sa motion ; il donne le plus grand développement à ses principes. 11 s’est appuyé des lois anglaises pour prouver que par le mot peuple on entend la plus prande partie de la nation, et que, sous ce rapport, la dénomination sous laquelle il propose à l’Assemblée de se constituer, est la seule propre, la seule qui, dans tous les temps, pût lui convenir.

11 passe ensuite au droit de veto dont il a déjà parlé, et qu’on a combattu. Le refuscriez-vous au Roi ? s’est-il écrié. Pensez-vous qu’il ne faut pas sa sanction pour vous constituer ? Pour moi, Messieurs, je crois le veto du Roi tellement nécessaire, que j’aimerais mieux vivre àConstantiuoplequ’en France, s’il ne l’avait pas ; oui, je le déclare, je ne connaîtrais rien déplus terrible que l’aristocratie souveraine de six cents personnes qui, demain, pourraient se rendre inamovibles, après-demain héréditaires, et finiraient, comme les aristocrates de tous les paysdu monde, par tout envahir.

Revenant ensuite à la dénomination de peuple français, il s’étonne qu’elle paraisse choquer quelques membres. Cette qualification de peuple français, a-t-il ajouté, je l’adopte, je la défends, je la proclame, par la raison qui la fait combattre. Oui, c’est parce que le nom de peuple n’est pas assez respecté en France, parce qu’il est obscurci, couvert de la rouille du préjugé ; parce qu’il nous présente une idée dont l’orgueil s’alarme, et dont la vanité se révolte ; parce qu’il est prononcé avec mépris dans les Chambres des aristocrates : c’est par cela même que nous devons nous imposer non-seulement de le relever, mais de l’ennoblir, de le rendre désormais respectable aux mi- «  nistres, et cher à tous les cœurs.

Après avoir analysé les opinions et les motions des différents orateurs, il déclare persister dans la sienne.

M. Malouet. Messieurs, avant que la liberté soit établie, nous avons besoin de son esprit et de sa langue pour en fonder les bases : je réclame donc un de nos droits les plus sacrés, celui sans lequel fous les autres seraient en péril, le droit de dire librement son avis, et de donner un libre essor, non pas à la témérité, mais au vrai courage qui se tait, lorsqu’il n’a pas l’usage légitime de ses droits et de ses moyens.

Si j’insiste ainsi sur la liberté de mon opinion, c’est que j’ai déjà éprouvé que quelques personnes essayent de flétrir l’avis qui leur déplaît ; mais de tous les murmures possibles, je ne crains que celui de ma conscience ; et le respect que je dois à cette Assemblée, celui que je me dois à