Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome VIII.djvu/191

Cette page n’a pas encore été corrigée

libération par tôte, pans compromettre l’autorité du prince et la liberté du peuple, sans vous exposer à faire entrer dans cette constitution des éléments de despotisme et de servitude ; sans doute, qu’en ce moment où il s’agit de donner à votre Assemblée la forme et le nom qui lui conviennent, vous ne perdrez pas de vue les maximes qui vous ont dirigés, et que vous avez mis tant d’intérêt à défendre.

D’après cette idée, il est donc impossible de supposer que vous puissiez adopter une forme et une dénomination qui tendent à faire croire que vous vous constituez en ordre. Vous rejetterez donc la dénomination d’Assemblée des communes ou même de représentants du peuple qu’on vous a proposée, quoique ce soient les communes qui vous aient députés, quoique vous vous honoriez de représenter le peuple ! Vous sentirez, qu’en adoptant des dénominations de ce genre, des dénominations qui, dans l’usage, ne sont affectées qu’à une partie de la nation, quelque nombreuse qu’elle soit, et non pas à la nation tout entière, vous avez l’air de consentir à une diversion qui vous afflige ! Vous ôtez même à vos délibérations le grand caractère qu’elles doivent avoir.

Vous vous considérerez sous un autre point de vue. Vous n’oublierez pas que si vous tenez votre titre des communes, en vous députant elles ont entendu faire un député de la nation, et non pas un député d’un ordre quelconque ; que ce n’est même qu’en conséquence de cette opinion, qu’elles ont pu vous donner la faculté de délibérer sur tous les intérêts de la nation ; sur son système de législation, comme sur son système (l’administration ; sur son système de législation, qui importe également à toutes les classes de citoyens ; sur son système d’administration , qui ’les affecte également toutes ; vous n’oublierez pas que, pour délibérer ainsi, il faut avoir un titre qui réponde à l’importance et à l’étendue de la délibération dont on s’occupe ; que vous ne pourriez donc vous considérer uniquement comme députés des communes, qu’autant que vous n’auriez à traiter que l’intérêt des communes ; mais qu’ayant à faire une constitution, c’est-à-dire une chose qui, de sa nature, embrasse les intérêts de tous les individus qui peuvent se trouver dans un Etat, c’est à un titre plus analogue à l’œuvre dont vous êtes chargés, que vous devez prétendre.

Ces réflexions exposées, il ne reste plus qu’à chercher la dénomination qui vous convient. Or, certainement, Messieurs, il vous est impossible d’en adopter une autre que celle que M. l’abbé Sieyès vous propose ; il n’y a que celle-là qui soit conséquente, si je puis me servir de ce mot, à la manière dont vous avez agi jusqu’à présent ; il n’y a que celle-là qui maintienne dans toute son intégrité le droit national de la délibération par tête, auquel j’aime à croire que vous êtes maintenant attachés ; il n’y a que celle-là, enfin, qui annonce véritablement- tout ce que vous êtes, tout ce que vous devez être, pour remplir la tâche importante qui vous est confiée.

Députés de la nation pour organiser le système politique de la nation, votre Assemblée rie peut se constituer autrement qu’en Assemblée des représentants de la nation.

Cette vérité me paraît incontestable.

Cependant j’ai une objection à résoudre.

On ne manquera pas de me répéter ce qu’on a déjà dit : que si vous vous déclarez Assemblée des représentants de la nation, vous blessez nécessaire-

ment les classes privilégiées et vous achevez ainsi de les aliéner, quand vous annoncez que vous conservez toujours au fond de vos cœurs l’espérance de les 1 amener parmi nous.

Je réponds d’abord, que lors même que de telles considérations seraient fondées, les principes que je viens de développer n’en seraient pas moins véritables, et que lorsqu’il s’agit de travailler à une constitution, ce n’est pas pur des considérations, mais d’après des principes qu’il faut se déterminer.

Je réponds, en second lieu, que c’est à tort que vous craignez de blesser les députés des classes privilégiées. Certainement ils conviendront avec vous du principe : qu’il n’y a qu’un député de la nation qui puisse traiter des intérêts de la nation ; certainement ils conviendront avec vous : que s’ils ne se considéraient eux-mêmes que comme députés du clergé, comme députés de la noblesse, ils n’auraient aucun droit à s’occuper de la totalité des intérêts de la nation, de la constitution à faire, par exemple. Or, parce qu’ils trouvent plus convenable de choisir entre deux titres, qui sont également à leur disposition, celui qui les rapproche le plus du système de la délibération par ordres qu’ils ont adoptée ; pourquoi trouveraient-ils mauvais qu’entre deux titres aussi, qui sont également à notre bienséance, nous fassions choix de celui qui peut s’allier avec la délibération par tête, dont il vous est impossible de vous départir ?


J’avoue que cette observation me paraît si forte que je pense qu’il serait superflu d’ajouter l’épithôte de connus ou de vérifiés et la qualité de représentants de la nation, que M. l’abbé Sieyès veut que nous prenions.

Certainement M. l’abbé Sieyès ne nous propose cette épithèle, certainement il ne désire que nous appelions notre Assemblée l’Assemblée des représentants connus et vérifiés de la nation, que pour calmer nos craintes, que pour avertir aussi les deux autres ordres, qu’en prenant la dénomination qui nous est proposée, nous ne prétendons en aucune manière le3 dépouiller de la qualité de représentants de la nation ; que nous voulons seulement être fidèles à nos principes, au système que nous avons adopté sur la vérification commune des pouvoirs, système qui ne nous permet de reconnaître comme députés de la nation que ceux qui auront consenti à se faire vérifier en commun avec nous. Mais, d’après ce que je viens de dire, nos craintes sont-elles bien fondées ? N’y aurait-il pas d’ailleurs une autre manière d’instruire les deux autres ordres des motifs qui nous ont déterminés à choisir la dénomination dont il s’agit ici ?

Ne pourrions-nous pas, par exemple, en revenant à la déclaration de M. Chapelier, que nous avons rejelée comme prématurée, mais non pas comme mal fondée, faire un exposé des motifs qui nous ont portés à nous constituer en Assemblée des représentants de la nation ? Je ne sais pourquoi je pense que si cet exposé était rédigé comme il doit l’être, si cette grande question de la séparation ou de la distinction.des ordres, car c’est la même chose au fond, était traitée aveq toute la profondeur et toute la dignité que son importance exige, si on l’envisageait sous toutes ses faces, dans tous ses rapports avec l’ordre politique et moral qui nous convient, je ne sais, dis-je, pourquoi je pense qu’il nous serait possible de ramener à nous, sans employer d’autre moyen de persuasion que l’usage d’une raison éclairée et tranquille, ces mêmes classes pri vile-