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mier maître ; là où ils peuvent être justes sans imprudence, vertueux sans danger, là où toutes les espèces de crainte, que le spectacle de la domination orgueilleuse d’un seul, et surtout de plusieurs, entretient ou produit, ne viennent ni modifier leur caractère, ni dépraver leurs habitudes.

Vous représenterez au clergé, et vous ne serez pas démentis par les dignes pasteurs que vous avez l’avantage de compter maintenant au nombre des membres de cette Assemblée, que s’isoler de la nation, s’éloigner du peuple, c’est aller précisément contre l’esprit de son institution ; que le vœu de la religion comme de la politique bien entendue est essentiellement l’égalité des hommes ; que dans une occasion où il s’agit de faire le bien de tous, en se rapprochant de cette égalité précieuse, il y a une sorte de disconvenance à ce que les ministres de la religion délibèrent à part, comme si leur intérêt pouvait jamais être autre chose que l’intérêt commun ; qu’en se séparant ainsi, loin de rendre la religion chère au peuple, ils accoutument un peu trop à penser qu’elle est étrangère aux grandes discussions que le bien public peut occasionner ; que s’il est vrai, en particulier, qu’un ministre de la religion n’obtient jamais plus de vénération et de confiance que lorsqu’il vit d’une vie simple et commune, que lorsque les besoins de ses frères sont les siens, que lorsqu’il partage avec eux tout ce qui peut leur arriver de prospérité ou d’infortune ; ce n’est peut-être pas un spectacle bien moral, un spectacle bien propre à ramener parmi nous le respect pour les idées religieuses, que de voir l’élite de nos * pasteurs détachés de la grande masse de la nation, conférer à l’écart sur des prérogatives ou des privilèges, tandis qu’il est question de fonder une patrie, tandis qu’il est question de régénérer les mœurs, tandis qu’il s’agit de rendre, pour chacun de nous, dans un meilleur ordre de choses, l’exercice de toutes les vertus plus familier et plus facile.

Enfin, Messieurs, vous exposerez au prince : qu’en vous élevant, comme vous l’avez fait, contre la distinction des ordres, c’est aussi sa légitime autorité que vous vous êtes occupés de garantir ou de défendre.

Vous exposerez au prince : que. si cette fatale distinction des ordres avait pu devenir constitutionnelle, si, en conséquence, comme je l’ai déjà dit, elle eût entraîné après elle une distinction dans les professions, si, en conséquence, comme je l’ai dit également, l’ordre de la noblesse avait continué à tenir en réserve pour lui-même les premières dignités de l’Eglise, toutes les places de la haute magistrature, le commandement des soldats, l’aristocratie, dont le monarque se serait trouvé tout à coup environné, ne lui eût pas été moins funeste qu’à la nation ! Qu’est-il besoin de vous prouver, en effet, combien une aristocratie, telle que celle dont il s’agit ici, une aristocratie à la fois religieuse, judiciaire et militaire, une aristocratie disposant aiusi de toutes ies espèces de pouvoirs, non plus d’après l’usage, remarquez bien ceci, mais d’après le vœu de la constitution, deviendrait redoutable, même pour le trône.

Vous exposerez au prince : que si cette fatale distinction des ordres avait pu devenir constitutionnelle, toute bonne administration , ainsi que toute bonne législation, eut été impossible dans l’Etat, chaque ordre ayant son veto dans l’Assemblée nationale, quand il s’agirait de porter une loi dans les assemblées provinciales , quand il s’a-

girait d’appliquer une loi, on aurait vu résulter de cette multitude prodigieuse de veto, une opposition dans les idées, un désordre dans les démarches qui se seraient étendus du. centre aux extrémités du royaume ; et au milieu de cet inconcevable tumulte, je le demande, qu’eût pu faire le gouvernement, cherchant partout la règle, et ne trouvant nulle part cette règle, cependant indispensable ?

Vous exposerez au prince : qu’en même temps que vous êtes convaincus que la distinction des ordres dans les corps délibérants est un système destructif de toute bonne législation, comme de toute bonne administration, vous n’en êtes pas moins persuadés qu’il faut des dignités, des rangs dans une monarchie ; mais des dignités, des rangs qui soient accessibles au mérite, partout où il pourra se trouver ; mais des dignités, des rangs qui ne puissent pas heurter la liberté commune, en devenant trop exclusivement l’apanage d’un petit nombre de citoyens.

Ainsi le prince aurait lieu de remarquer que, loin de diminuer sa puissance, comme on ose Je dire, vous l’augmentez réellement en le rendant plus indépendant dans ses choix, en le rapprochant davantage de toutes les classes de la nation, par l’exercice d’une bienfaisance plus impartiale et, disons mieux, d’une justice plus étendue.

Vous exposerez au prince, et cette pensée sera chère à son cœur : que si vous formez des souhaits pour que cette malheureuse distinction des ordres ne se reproduise jamais, c’est que vous sentez que par elle il se trouverait pour toujours isolé de son peuple ; c’est que vous sentez qu’il s’élèverait sans retour entre le trône et la nation une barrière fatale , que ni le peuple, ni le monarque lui-même, ne pourraient franchir. Or, il est vrai de dire de tous les hommes, et il faut le dire aussi des rois, que plus ils s’isolent de leurs semblables, et plus ils deviennent faibles et malheureux. Elle l’a voulu de la sorte cette éternelle Providence qui, pour l’avantage de l’espèce humaine, a placé le bonheur et la puissance dans la communauté des affections et des intérêts ; qui fait exister le soupçon et la crainte à côté de toutes les espèces de tyrannies ; et qui, à mesure qu’un homme se met, par son orgueil, à part des autres hommes, lui ôte en jouissance réelle, en pouvoir véritable, en pouvoir sur les volontés (car voilà le véritable pouvoir), tout ce qu’il croit acquérir en domination.

Ces idées, et bien d’autres encore, vous saurez les développer avec ce caractère de grandeur, cette espèce de majesté tranquille, qui convient aux vérités qui ont le bien universel des hommes pour objet. Il y a dans la raison une force souveraine, contre laquelle- toutes les autres forces sont impuissantes, et comme vous ne parlerez que le langage de la raison la plus pure, vous ne devez douter ni de l’effet que vous produirez, ni des conséquences heureuses qui résulteront pour le prince et la nation, de votre fermeté à défendre les bons principes, et de votre attention à ne vous en départir jamais dans le système de conduite que vous avez adopté.

Or, Messieurs, si vous n’avez point à craindre que, lorsque vous mettrez sous les yeux de la nation et du monarque les motifs qui vous ont déterminés daus tout ce que vous avez fait jusqu’à présentées motifs ce soient pas trouvés sages et raisonnables ; s’il vous est facile de prouver que, maintenant qu’il s’agit de faire une constitution, vous n’auriez pu vous départir de la dé-