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vous exposer les motifs qui les rendent nécessaires.

Dans ce moment, je me borne à insister sur la convenance de la dénomination que j’ai adoptée de représentants du peuple français. Je dis la convenance, car je reconnais que la motion de M. l’abbé Sieyès est conforme à la rigueur des principes, et telle qu’on doit l’attendre d’un citoyen philosophe. Mais, Messieurs, il n’est pas toujours convenable de consulter uniquement le droit sans rien accorder aux circonstances.

Il est cette différence essentielle entre le métaphysicien qui, dans la méditation du cabinet, saisit la vérité dans son énergique pureté, et l’homme d’Etat qui est obligé de tenir compte des antécédents, des difficultés, des obstacles ; il est, dis-je, cette différence entre l’instructeur du peuple et l’administrateur politique, que l’un ne songe qu’à ce qui est, et l’autre s’occupe de ce qui peut être.

Le métaphysicien, voyageant sur une mappemonde, franchit tout sans peine, ne s’embarrasse ni des montagnes, ni des déserts, ni des fleuves, ni des abîmes ; mais quand on veut réaliser le voyage, quand on veut arriver au but, il faut se rappeler sans cesse qu’on marche sur la terre, el qu’on n’est plus dans le monde idéal.

Voilà, Messieurs, un des grands motifs de préférence pour la dénomination que j’ai mûrement réfléchie. Si nous en prenons une autre, nous aurons à créer une nouveauté ; elle va fournir abondamment aux déclamations de ceux qui nous calomnient : nous aurons contre nous tous les antécédents, tous les usages, tout ce qui est consacré par les habitudes, tout ce qui est sous la garde puissante des préjugés et de l’aristocratie. Si nous prenons le titre de représentants du peuple, qui peut nous l’ôter ? qui peut nous le disputer ?

qui peut crier à l’innovation, à ces prétentions 

exorbitantes, à la dangereuse ambition de notre Assemblée ? qui peut nous empêcher d’être ce que nous sommes ? Et, cependant, cette dénomination si peu alarmante, si peu prétentieuse, si indispensable, cette dénomination contient tout, renferme tout, répond à tout. Elle abordera facilement le trône, elle ôtera tout prétexte à nos ennemis -, elle ne nous exposera point à des combats, à des chocs dangereux dans tous les temps, qui pourraient nous être funestes dans l’état où nous sommes, et jusqu’à ce que nous ayons jeté des racines profondes. Cette dénomination simple, paisible, incontestable, deviendra tout avec le temps ; elle est propre à notre naissance, elle le sera encore à notre maturité ; elle prendra les mêmes degrés de force que nous-mêmes ; et, si elle est aujourd’hui peu fastueuse, parce que les classes privilégiées ont avili le corps de la nation, qu’elle sera grande, imposante, majestueuse !

Elle sera tout, lorsque le peuple, relevé 

par nos efforts, aura pris le rang que l’éternelle nature des choses lui destine.

M. Ilounier propose à l’Assemblée de se constituer en Assemblée légitime des représentants de la majeure partie de la nation, agissant en l’absence de la mineure partie. Il combat les deux motions déjà faites, et donne des développements à la sienne. Nous allons la transcrire :

« Sur les rapports faits par les différents bureaux, l’Assemblée a reconnu légitimes les pouvoirs des membres qui la composent actuellement, sous la réserve du jugement de quelques contestations dont l’examen a été renvoyé à des commissaires, et, en conséquence elle s’est déclarée

valablement constituée. Ensuite il a été arrêté que, l’Assemblée formée par les représentants de la plus grande partie de la nation, et par la majorité de tous les députés envoyés aux Etats généraux dûment invitée, la minorité dûment invitée sur les moyens d’établir la fécilité publique, les suffrages seront comptés par tête et non par ordre ; qu’elle ne reconnaîtra jamais aux députés du clergé et de la noblesse le prétendu droit de délibérer séparément, ni de s’opposer à ses délibérations, ne pouvant renoncer néanmoins à l’espoir de la réunion de tous les députés, qu’elle ne cessera de désirer. Il a été de plus arrêté que l’exposé des motifs et des principes qui dirigent cette Assemblée sera mis sous les yeux du Roi et de la nation. »

La motion de M. Mounier est appuyée par plusieurs membres. M. Barnave, entre autres, la défend vivement.

M. Rabaud de Saint-Etienne parle ensuite ; et après un long discours, il propose le projet d’arrêté qui suit :

« La vérification des pouvoirs des députés français qui se sont présentés dans la salle nationale ayant été faite ; l’Assemblée considérant qu’elle doit être une, comme la nation est une ; que tous les députés ont un intérêt de droit de se reconnaître les uns les autres ; et que nul ne peut être réputé député s’il n’a fait vérifier ses pouvoirs par les autres députés en commun, déclare :

« 1° Qu’elle se constitue l’Assemblée des représentants du peuple de France, vérifiés parles codéputés, autorisés par leurs commettants à s’occuper de leurs intérêts, et aptes à exécuter les mandats dont ils ont été chargés ;

« 2° Que l’absence ou la séparation de ceux des députés qui auraient vériQô séparément leurs pouvoirs, ne saurait arrêter les opérations des députés vérifiés en commun et reconnus ; que toute vérification particulière est nulle, et que nulle classe de citoyens ne peut avoir la faculté de prononcer le veto qui n’appartient qu’au Roi ; « 3° Qu’en conséquence, à mesure que les ab sents, ou ceux qui se seraient vérifiés eux-mêmes ou en particulier, se présenteront à l’Assemblée commune pour y prendre place, ils jouiront de ce droit aussitôt qu’ils y auront fait vérifier leurs pouvoirs ;

« 4° Que l’Assemblée étant cependant constituée, et tous les députés ayant été vérifiés ou dûment appelés pour l’être, elle va procéder à toutes les opérations qui intéressent le bonheur du Roi. En conséquence elle arrête, sous le bon plaisir du Roi :

« 1° Qu’elle déclare tous les impôts actuels supprimés comme ayant été établis sans le consentement de la nation ;

« 2° Qu’elle les crée de nouveau, pour exister seulement pendant la tenue des Etats généraux actuels, déclarant que, si lesdits Etats généraux venaient à être dissous sans qu’ils eussent librement consenti les impôts, ils demeureront supprimés ;

« 3° Qu’elle annonce qu’après que les Etats généraux, composés des députés vérifiés en commun, auront fait la constitution, ils s’occuperont à vérifier la dette et à la consolider ;

« 4° Qu’elle a voté un emprunt de millions

pour subvenir aux besoins pressants de l’Etat, et l’a hypothéqué sur les premiers deniers de la caisse générale ;

« 5° Que la présente délibération sera portée au Roi ; que les motifs qui l’ont occasionnée lui se-