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Roisgelin, l’un do MM. de la noblesse de Bretagne, lui a remis des délibérations d’une partie de MM. du clergé et de MM.de la noblesse de la province de Bretagne, en date du 17 avril 1789, et une protestation de MM. du clergé de la même province, contre les élections de MM. des communes, pour être communiqués à l’Assemblée.

L’Assemblée en renvoie la lecture et l’examen, pour y être statué après qu’elle sera constituée.

M. Mougtiis de Roquefort, curé de Grasse, député de la sénéchaussée de Draguignan, entre dans l’Assemblée, et prononce le discours suivant :

Messieurs, il me tardait de me rendre dans la salle nationale pour procéder, avec le concours des ordres, à la vérification des pouvoirs, et travailler de concert à l’œuvre de la régénération publique.

Des motifs de prudence, l’espoir de paraître avec tous mes co-députés, avaient suspendu mes démarches, sans affaiblir mes sentiments, ni altérer mes résolutions.

Mais il ne m’est plus permis de différer ; je dois céder à mon devoir et à l’intérêt de l’Etat. Ma joie sera à son comble, dès que mes pouvoirs étant légalement reconnus, je pourrai, comme vrai représentant de la nation, m’occuper sans délai des grands objets qui nous rassemblent, et contribuer avec vous, Messieurs, mes frères et mes amis, à la gloire du Trône, au bonheur de l’Etat, à la félicité générale.

Il me reste un dernier vœu à former ; il est digne de l’auguste et sacré ministère que j’exerce : c’est celui de l’union générale des sentiments ; c’est celui de voir arborer, par les classes de tous les citoyens qui composent les Etats généraux, l’olivier de la paix et de la concorde. N’abandonnons jamais, Messieurs, ce doux espoir : il serait consolant pour la nation et bien précieux à mon cœur.

Mes pouvoirs sont compris dans les mêmes actes que ceux des autres députés de la sénéchaussée de Draguignan. J’en demande la vérification.

L’Assemblée applaudit vivement au discours de M. Mougius. Ses pouvoirs sont reconnus légitimes ; il va prendre place sur les bancs du clergé.

M. llougins de Roquefort, maire de la même ville de Grasse, frère dudit sieur curé, demande la parole et dit :

Messieurs, permettez-moi d’applaudir aux démarches du pasteur qui vient de vous exprimer son vœu. Uni à lui par les liens de la nature, pétri du même sang, je partage avec joie, avec satisfaction et dans toute l’effusion de mon cœur, ses sentiments et ses principes.

M. Joyeux, curé de Saint-Jean de Chatellerault, se présente, annonce qu’il remettra incessamment ses pouvoirs, et prend place sur les bancs de MM. du clergé.

M. l’abbé Sieyès. La vérification des pouvoirs étant faite, il est indispensable de s’occuper, sans délai, de la constitution de l’Assemblée. 11 est constant, par le résultat de la vérification des pouvoirs, que cette Assemblée est déjà composée des représentants envoyés directement par les quatre-vingt-seize centièmes au moins de la nation. Une telle masse dedéputations ne saurait être inaclive par l’absence des députés de quelque bailliages, ou de quelques classes de citoyens ; car les absents qui ont été appelés ne peuvent point empêcher les présents d exercer la pléni-

tude de leurs droits, surtout lorsque l’exercice de ces droits est un devoir impérieux et pressant. De plus, puisqu’il n’appartient qu’aux représentants vérifiés de concourir à former le vœu national, et que tous les représentants vériliés sont dans celte Assemblée, il est encore indispensable de conclure qu’il lui appartient, et qu’il n’appartient qu’à elle d’interpréter et de présenter la volonté générale de la nation ; nulle autre Chambre de députés, simplement présumés, ne peut rien oter à la force de ses délibérations ; enfin, il ne peut exister entre le Trône et l’Assemblée aucun veto, aucun pouvoir négatif. L’Assemblée juge donc que l’œuvre commune de la restauration nationale peut et doit être commencée sans retard par les députés présents, et qu’ils doivent la suivre sans interruption comme sans obstacle. La dénomination d’Assemblée des représentants connus et vérifiés de la nation française, est la seule dénomination qui convienne à l’Assemblée dans l’état actuel des choses, la seule qu’elle puisse adopter, tant qu’elle ne perdra pas l’espoir de réunir dans son sein tous les députés aujourd’hui absents ; elle ne cessera de les appeler, tant individuellement que collectivement, à remplir l’obligation qui leur est imposée de concourir à la tenue des Etals généraux. A quelque moment que les députés absents se présentent dans le cours de la session qui va s’ouvrir, elle déclare d’avance qu’elle les recevra avec joie et s’empressera, après la vérification de leurs pouvoirs, de partager avec eux les grands travaux qui doivent procurer la régénération de la France.

Divers membres demandent la parole, et successivement parlent les uns pour, les autres contre la motion de M. Sieyès. Elle donne lieu à de vifs débats.

M. le comte de Mirabeau. Je n’ai jamais été moins capable qu’aujourd’hui de discuter une question importante et de parler devant vous. Agité depuis plusieurs jours d’une fièvre opiniâtre, elle me tourmente dans ce moment même ; je sollicite donc une grande indulgence pour ce que je vais dire. Si mon âme parle à votre âme, vos forces suppléeront à mes forces ; mais j’ose vous demander en même temps une grande attention pour la série de résolutions que j’aurai l’honneur de vous offrir. Longtemps méditées, rédigées dans un moment plus favorable, je les soumets à votre sagesse avec plus de confiance que le peu de mots que je vais balbutier. Nous sommes prêts à sortir du cercle où votre sagesse s’est longtemps circonscrite. Si vous avez persévéré avec une fermeté rare dans un système d’inaction politique, infiniment décrié par ceux qui avaient un grand intérêt à vous faire adopter de fausses mesures, c’était pour donner le temps aux esprits de se calmer, aux amis du bien public celui de seconder le vœu de la justice et de la raison ; c’était pour vous assurer mieux que, même dans la poursuite du bien, vous n’excéderiez aucunes bornes ; c’était, en un mot, pour manifester une modération qui convient surtout au courage, ou plutôt sans laquelle il n’est pas décourage vraiment durable et invincible.

Cependant le temps s’est écoulé, les prétentions, les usurpations des deux ordres se sont accrues ; votre sage lenteur a été prise pour faiblesse ; on a conçu l’espoir que l’ennui, l’inquiétude, les malheurs publics, incessamment aggravés par des circonstances presque inouïes, vous arracheraient quelque démarche pusilla-