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l’invitation faite par le tiers-état. En exécution de l’arrêté du 13 de ce moi ?, elle eu prend un autre aujourd’hui ; elle arrête qu’expédition en forme de celui pris le samedi 13 de ce mois sera portée par une députation composée de six membres, Tune à l’ordre du clergé, l’autre à celui du du tiers-état, et qu’en outre il sera envoyé une autre députation au roi pour lui rendre compte de la conduite et des délibérations de la Chambre depuis l’ouverture des Etats généraux.

M. le comte de Lally-Tollendal prononce, à cette occasion, le discours suivant :

M. le comte de Lnlly Tollendal (1). Messieurs, qu’une portion de l’Assemblée législative, en contestation avec une autre, invoque le dôploiementdu pouvoir exécutif, c’est un paradoxe, c’est une espèce de monstre eu constitution.

Après n’avoir cessé de dire depuis un mois que nos droits sont attaqués, aller dire aujourd’hui solennellement au Roi qu’il en est le conservateur, et le prier de les prendre en considération, en même temps que nous lui portons une espèce de manifeste contre les prétentions de ceux que nous nommons malheureusement nos adversaires, c’est évidemment, quoique sous des termes déguisés, appeler la force à notre secours.

Je ne répéterai point tout ce qui vous a été dit avec tant d’énergie sur le danger d’une pareille mission, je me bornerai à relever une ciconstance qui me frappe.

Avant- hier encore, nous avon3 refusé un plan de conciliation proposé par le Roi, et nous allons aujourd’nui provoquer des actes de son autoritél

Quand il voulait nous donner la paix, nous ne l’avons pas écouté, et nous allons lui demander de s’armer pour nous !

Quand il ne disait pas un mot qui ne fût une expression de sensibilité, de ménagement, j’oserai dire de respect pour les libertés nationales, il nous a trouvés ombrageux, inaccessibles à la persuasion, et nous voilà tout à coup assez confiants pour lui abandonner ces mêmes libertés !

11 en sera plus jaloux que nous, je n’en doute pas. Sa gloire augmente chaque jour par un parrallèle, qui chaque jour devient plus étonnant ; c’est lui jusqu’ici qui nous a préservés de nous-mêmes. Dans l’ancien système des cours, c’était à lui de nous diviser et il ne cherche qu’à nous réunir. Mais ce parallèle est-il aussi glorieux pour la nation que pour son chef ? En recueillant le fruit de ses vertus, du moins faudrait-il nous en montrer dignes. En étant libres par lui, du moins faudrait-il que nous ne le fussions pas malgré nous.

La puissance exécutrice, nous a-t-on dit, conserve les lois. Oui, sans doute, mais la puissance executive n’a d’action coactive à cet égard que sur les sujets et il n’y a de sujets que les individus ; excepté le cas de dissolution qui doit appartenir à la prérogative royale, la puissance executive n’a aucune action" coactive sur l’Assemblée nationale. Toutes deux souveraines, toutes deux législatrices, l’une et l’autre n’ont respectivement qu’une action de concours.

On a encore dit que le tiers-état avait envoyé son arrêté au Roi ; mais il n’a fait que communiquer, il s’est bien gardé de soumettre et il est inutile de faire naître encore un parallèle où l’avantage ne serait pas pour nous. Le tiers-état,

(1) Lo discours do M. le comte do Lally-Tollcndal n’a pas été inséré au Moniteur.

je le dis à regret, a triomphé de notre arrêté d’avant-hier, il a eu tort sans doute ; ne lui ménageons pas un second triomphe qui serait plus fondé et qu’il ne puisse pas nous reprocher d’avoir porté atteinte à la liberté publique.

On nous a cité une loi qui ordonne, dit-on, qu’en cas de division entre les ordres, l’objet contesté restera sans détermination ; elle ne dit donc pas que l’objet contesté sera déterminé par le Roi.

On nous a cité un exemple de 1356, mais outre qu’il n’est nullement applicable à la question, j’avoue qu’en général, dans tout ce qui intéressera la constitution, il m’arrivera rarement de combattre les exemples tirés de notre histoire, plus rarement encore d’en citer. Ces exemplesne font rien contre un principe ; c’est avec des principes qu’on sauvera la France et c’est avec des exemples qu’on la perdra.

Enfin, Messieurs, on a fait de longs reproches, mêlés même de quelque amertume, aux membres de cette Assemblée, qui avec autant de douleur que de réserve, ont manifesté quelques doutes sur ce qu’on appelle notre constitution. Cet objet n’avait peut-être pas un rapport très-direct avec celui que nous traitons ; mais puisqu’il a été le prétexte de l’accusation, qu’il devienne aussi celui de la défense et qu’il me soit permis d’adresser quelques mots aux auteurs de ces reproches.

Vous n’avez certainement pas de loi qui établisse que les Etats généraux font partie intégrante de la souveraineté, car vous en demandez une, et jusqu’ici tantôt le veto du Conseil leur défendait de délibérer, tantôt l’arrêt d’un parlement cassait leurs délibérations.

Vous n’avez pas de loi qui nécessite le retour périodique de vos Etats généraux, car vous en demandez une, et il y a 175 ans qu’ils n’avaient été assemblés.

Vous n’avez pas de loi qui mette votre sûreté, votre liberté individuelle à l’abri des atteintes arbitraires, car vous en demandez une et spus le règne d’un Roi dont l’Europe entière connaît la justice et respecte la probité, des ministres ont fait arracher vos magistrats du sanctuaire des lois par des satellites armés. Sous le règne précédent, tous les magistrats du royaume ont encore été arrachés à leurs séances, à leurs foyers, et dispersés par l’exil, les uns sur la cime des montagnes, les autres dans la fange des marais, tous dans des endroits plus affreux que la plus horrible des prisons. En remontant plus haut, vous trouverez une profusion de cent mille lettres de cachet, pour de misérables querelles théologiques. En vous éloignant davantage encore, vous voyez autant de commissions sanguinaires que d’emprisonnements arbitraires, et vous ne trouvez à vous reposer qu’au règne de votre bon Henri.

Vous n’avez pas de loi qui établisse la liberté de la presse, car vous en demandez une, et jusqu’ici vos pensées ont été asservies, vos vœux enchaînés, le cri de vos cœurs dans l’oppression a été étouffé, tantôt par le despotisme des particuliers, tautôtpar le despotisme plus terrible des corps.

Vous n’avez pas, ou vous n’avez plus de loi qui nécessite votre consentement pour les impôts, car vous en demandez une, et depuis deux siècles vous avez été chargés de plusdetroisouquatrecent millions d’impôts, sans en avoir consenti un seul.

Vous n’avez pas de loi qui rende responsable tous les ministres du pouvoir exécutif, car vous en demandez une ; et les créateurs de ces coin-