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et des menées ; l’air môme qu’on y respire porte la corruption dans les cœurs. Des représentants de la nation, hélas ! semblent déjà en être vivement atteints. Il en est, oui, il en est qui se laissent fasciner les yeux ; fasse le ciel que la contagion ne gagne pas jusqu’à leur cœur ! Qui ne sait en effet qu’il se tient des assemblées nocturne ?, des conférences secrètes, où l’on combine des motions et des réponses favorables au parti toujours ou presque toujours contraire à la droiture et aux vrais principes ?

Le projet de M. Malouet est rejeté, et celui de M. Barnave obtient la préférence.

L’adresse est lue de nouveau avec les changements jugés nécessaires, et la rédaction en est approuvée en la manière qui suit :

(Voyez plus loin le texte de l’adresse, séance du 13 juin.)

Après la lecture de l’adresse, l’Assemblée décide que M. le doyen, assisté de deux adjoints, ira la remettre au Roi.

M. Desmeuniers. Je représente qu’en conséquence de la délibération prise dans la séance précédente, il convient qu’on s’occupe de la vérification des pouvoirs. Je propose un plan qui consiste seulement à faire l’appel général des bailliages. Les députés déposeront simplement leurs pouvoirs sur le bureau, pour y être enre-

fistrés. Le travail sera partagé entre les vingt ureaux, dont chacun vérifiera un certain nombre de députations ; de cette manière, la vérification ries 176 députations devra être faite dans peu de temps.

Cette proposition est généralement accueillie, et il est convenu que ce plan sera exécuté dans tous ses détails.

M***. Je demande qu’il soit procédé dans l’instant à l’appel des bailliages.

M. le Doyen. J’observe que par suite de l’invitation faite aux deux Chambres de la noblesse et du clergé, il convient que les communes restent assemblées, et tiennent leur séance toute la journée, et que l’appel ne commence qu’à la lin de la séance.

Cette observation est adoptée, et l’Assemblée décide qu’elle attendra la résolution des deux Chambres jusqu’à la fin de la séance.

M. Bailly, qui s’était retiré vers le Roi pour lui porter l’adresse de la Chambre des communes, revient et apporte pour réponse qu’il n’a pu parler au Roi, attendu qu’il était à la chasse, et qu’il ne serait pas possible de le voir parce qu’il devait se retirer fort tard.

Il est décidé que M. le doyen remettra, sous enveloppe, deux copies de cette adresse, l’une au iiremier gentilhomme de la Chambre, et l’autre à 4. le garde des sceaux, afin que, dans le jour même, elles soient mises sous les yeux de Sa Majesté.

A cinq heures on annonce une députation de la Chambre de la noblesse, composée de MM. Lambert de Frondeville, Saint-Maixent, le duc de Villequier, le vicomte de la Châtre, Foucault de Lardimalie et le marquis de Montesquiou.

La députation est introduite, et M. Montesquiou parle eu ces termes :

Messieurs, l’ordre de la noblesse a commencé à délibérer sur la proposition du tiers-état ; il continuera sa délibération à la prochaine séance, et s’empressera de vous faîre part de l’arrêté qui sera pris.

M. Bailly répond à la députation : Messieurs, les communes attendent depuis longtemps MM. de la noblesse ; elles ont, de plus, l’espérance de les voir arriver dans la salle des Etats.

M. Bailly annonce que M. le garde des sceaux lui a fait dire qu’il l’instruira de l’arrivée du Roi et du moment où il pourra être introduit chez lui.

Avant de procéder à l’appel des bailliages , l’Assemblée nomme M. Bailly pour son président provisoire, et le charge, pour cette fois seulement, de choisir, de concert avec MM. les adjoints au bureau, deux de ses membres qui seront chargés, en qualité de secrétaires, de dresser procès-verbal de l’appel qui va être fait et des autres opérations de l’Assemblée.

M. Bailly et MM. les adjoints se retirent dans une salle voisine et rentrent ensuite dans la Chambre pour annoncer que le résultat du scrutin est en faveur de MM. Camus, député de Paris, et Pisou du Galand, député du Dauphiné.

L’Assemblée applaudit à ce choix et décide que le procès-verbal de chaque séance sera signé par M. le président et MM. les secrétaires provisoires.

Au moment de procéder à l’appel des bailliages, un membre des communes, en demandant qu’on fît retirer les individus non députés qui se trouvaient assis parmi eux, a ajouté : « Il en est un surtout, étranger, proscrit de son pays, réfugié en Angleterre, pensionnaire du roi d’Angleterre, que nous voyons depuis plusieurs jours écrire et faire circuler des billets dans la salle. »

M. de Mirabeau se lève et dit avec beaucoup de chaleur (l) :

Messieurs, je conviens avec le préopinant que nul individu, non député, soit indigène, soit étranger, ne doit être assis parmi nous ; mais les droits sacrés de l’amitié, les droits les plus saints de l’humanité, le respect que je porte à cette Assemblée d’enfants de la patrie, d’amis de la paix, m’ordonnent à la fois de séparer de l’avertissement de police, la dénonciation, la délation vraiment odieuse que le préopinant n’a pas craint d’y ajouter. 11 a osé dire que dans le grand nombre d étrangers qui se trouvaient parmi nous, il était un proscrit, un réfugié en Angleterre, un pensionnaire du roi d’Angleterre.

Cet étranger, ce proscrit, ce réfugié, c’est M. du Roveray, l’un des plus respectables citoyens du monde. Jamais la liberté n’eut de défenseur plus éclairé, plus laborieux, plus désintéressé. Dès sa jeunesse, il obtint la confiance de ses concitoyens pour concourir à la formation d’un corps de" lois qui devait assurer à jamais la constitution de sa patrie. Rien de plus beau, rien de plus philosophiquement politique que la loi en faveur des natifs dont il fut un des auteurs, loi si peu connue et si digne de l’être ; loi qui consacre cette grande vérité que toutes les républiques ont péri, disons mieux, qu’elles ont mérité de périr, pour avoir opprimé des sujets et ignoré que l’on ne conserve sa liberté qu’en respectant celle de ses frères. Déjà procureur général de Genève, par l’élection de ses concitoyens, M. du Roveray avait mérité la haine des aristocrates ; dès lors ils avaient juré sa

(1) Le discours de Mirabeau n’a pas été inséré au Moniteur.