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c’est en ce sens seulement que nos pouvoirs peuvent et doivent être limités.

Leur vérification, différée jusqu’à présent, s’opérera en commun, Messieurs, quelle que soit l’issue des couférences ; car je distingue l’exhibition de nos titres de députation delà vériticalion effective des suffrages nationaux sur tous les points de constitution, tels qu’ils sont exprimés dans nos cahiers. Cette dernière opération pourrait se faire avec la plus grande authenticité, malgré le refus même des mandataires ; la volonté des constituants, légalement énoncée, étant la véritable et l’unique puissance de leurs représentants. Peu importe que ceux-ci soient discords dans les formes, pourvu que les pouvoirs respectifs et les vœux esprimés soient en harmonie. Or, nous sommes assurés, Messieurs, de cette concordance sur les points essentiels ; il ne s’agit que de la manifester ; mais il faut pour cela que nous développions le caractère national dont nous sommes revêtus, et que nous en déterminions l’exercice par la réunion et la manifestation des vœux de l’universalité du peuple français.

Je crois, Messieurs, qu’il n’est point de puissance qui soit en état de contrarier celle-là ; et je ne crains le veto d’aucun ordre contre les intentions promulguées de 25 millions d’âmes qui composent l’empire français. J’aime au contraire à espérer que le clergé et la noblesse, rassurés sur nos dispositions s’uniront à nous par une délibération commune, pour l’œuvre immortelle de la régénération de la France.

Supposons cependant, ce que je n’ai garde de penser, que les. ordres privilégiés voulussent s’opposer à quelqu’une des lois salutaires que toute la France attend et sollicite ; croyez- vous, Messieurs, qu’une telle entreprise ne serait pas plus dangereuse pour ses auteurs que pour nous ? Hé ! qui pourrait contenir l’indignation universelle qu’elle exciterait ? Qui pourrait rendre au clergé et à la noblesse lecrédit, la considération, la confiance publique ? Et que signifient toutes les distinctions, si vous en retranchez celle-là ? Ce n’est point la vanité seulement qui a créé les prééminences de rang, de naissance et de dignité ; elles ont une destination utile et nécessaire dans une monarchie. Mais si leur action devient oppressive et malfaisante, dans le moment où un peuple éclairé s’agite et se dirige vers un meilleur ordre de choses, c’est alors la lutte d’un enfaut opiniâtre, dontles caprices se taisent devant la raison d’un homme robuste.

Ecartons, Messieurs, ces sinistres présages, et ne présumons pas que l’élite des classes privilégiées soit moins empressée que nous de servir efficacement la patrie. Des préjugés, des inquiétudes mal fondées sur nos propres dispositions, les éloignent de nous. La sagesse, la justice, l’intérêt national nous rapprocheront. Arrêtons-nous aux exemples de patriotisme et de vertus publiques qu’ont donnés si souveut à la nation le clergé et ta noblesse, et n’imitons point celui d’une séparation prononcée par le veto ; n’adoptons pas la constitution de notre Assemblée en Assemblée nationale.

J’avoue, Messieurs, que la proposition de cette mesure m’a toujours alarmé. Elle est inutile aux intérêts de nos commettants. Elle est au-dessus de nos pouvoirs. Elle nous ferait perdre tous les avantages de notre position. Elle produirait la dissolution des Etats généraux. Elle exciterait les troubles les plus funestes.

. Ge serait en effet attenter aux droits civils et politiques de la nation, que de la déclarer complè-

tement représentée en l’absence des plus grands propriétaires et des premiers citoyens, qui sont les députés du clergé et de la noblesse. Aussitôt des protestations solennelles de la part des deux ordres obtiendraient l’appuides cours souveraines, et imprimeraient sur no3 opérations un sceau de nullité qui ne pourrait être effacé que par la force, dont nous n’avons garde de désirer et encore moins de provoquer l’emploi.

Serait-ce donc là, Messieurs, le terme des espérances de la nation et des efforts généreux du monarque pour la régénérer ? Nos dissensions appelleraient encore le pouvoir absolu ; car lorsque la puissance élémentaire, au lieu de s’ordonner et d’agir, se déchire, il faut bien que la puissance publique déposée dans les mains du monarque veille au salut de tous et nous préserve de l’anarchie.

Ah ! j’ose croire que vous préférerez le parti le plus sage, et dès lors le plus sûr, celui qui se lie aux plus solides appuis de la société : la justice, la vérité, la prudence, la fermeté. Si nous n’avions pas des droits à réclamer, si nous ne les réclamions pas avec modération, si nous n’avions pas des pouvoirs et une force réelle ; si nous les exagérions, si nous voulions être plus que nous ne sommes, si nous attaquions le clergé et la noblesse en ennemis, tous nos projets se fonderaient sur le sable, et nos déclarations, nos adresses au Roi ne seraient que des paroles bruyantes, inutiles pour nous, embarrassantes pour Sa Majesté, funestes à la nation. Mais en nous tenant dans une juste mesure, en nous constituant ce que nous sommes’les représentants du peuple, en n’offrant au Roi que ce que nous pouvons tenir ; en ne demandant que ce qu’il est juste d’accorder : en ne nous subordonnant point au veto des ordres privilégiés ; en ne nous permettant aucune offense contre eux, nous finirons par arriver ensemble à une constitution ; et le temps, la raison, les Assemblées subséquentes de la nation, applaniront tous les obstacles que nous n’aurons pu détruire.

C’est au nom de la patrie, Messieurs, et de nos devoirs les plus sacrés, que je soumets à votre sagesse ces observations. Ne bravons pas inutilement les dangers qui nous menacent, lorsque nous pouvons les éviter. N’adhérons à aucune prétention destructive des droits essentiels du peuple et des principes qui les conservent. Développons notre caractère, usons de nos pouvoirs tels qu’ils sont, et n’allons pas chercher au delà des difficultés et des malheurs.

Un membre. J’observe que ce n’est pas le moment de se livrer à la discussion des principes adoptés par M. Malouet ; l’Assemblée doit être conséquente dans ses démarches, et elle ne le sera point si l’on ne se hâte de rejeter la proposition de M. Malouet.

En effet, on ne peut se décider, même sur l’adoption d’aucun projet conciliateur, que le jour de la clôture du procès-verbal, et c’est demain qu’elle doit se faire : alors, il sera temps d’examiner l’ouverture donnée par les ministres du Roi, la motion de M. Malouet, et toutes celles qui pourraient être faites sur le même objet. On ne peut pas d’ailleurs délibérer encore sur cette motion, puisque les communes ayant fait une première invitation à MM. du clergé de se réunir à elles dans la salle nationale et leur en ayant fait une seconde dans le même objet, le 6 de ce mois, il faut nécessairement en attendre la réponse.

Enfin, ou examinera la motion de M. Malouet quand il en sera temps.