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Un membre. Je demande qu’on publie, par la voie de l’impression, l’arrêté du clergé relativement au prix excessif des grains, l’invitation que les communes ont faite dans la même séance, et la réponse qu’a donnée le clergé à cette invitation.

Un membre. Je représente qu’il faut attendre la délibération ultérieure que le clergé a promise, et qu’il ne peut différer sans se compromettre.

Cet avis est adopté.

M. Malouet. Messieurs, c’est d’après les propositions réitérées qui vous ont été faites de vous constituer, que j’ai demandé la permission de parler : le moment approche où il devient instant d’en délibérer ; les provinces, la capitale attendent avec inquiétude le parti que vous allez prendre.

Dans la situation où est le royaume, d’après la division subsistante entre les membres des Etats, il n’est point de plus grand intérêt qui puisse nous occuper. Il me semble que la nation tout entière est dans cette enceinte, qu’elle se présente à nous sous les traits d’une mère éploré ; et qu’en s’adressant au clergé, à la noblesse, aux communes, elle leur crie : Arrêtez, mes enfants, voulez-vous déchirer mes entrailles ? qui de vous oserait porter sur mon sein une main sacrilège ? Ah ! Messieurs, nous ne mériterons pas ce reproche ; mais je dis plus, il faut que notre prudence l’épargne même à nos frères ; il faut que notre sage fermeté réconcilie l’orgueil des intérêts privés avec la dignité de l’intérêt public.

Avant de développer cette réflexion, digne, Messieurs, de toute votre attention, qu’il me soit permis de mettre sous vos yeux notre situation actuelle. Dans toutes les discussions qui nous ont occupés jusqu’à présent, nous avons énoncé des principes, des volontés ; il nous reste à chercher des moyens, à les mesurer sur des obstacles, à faire entrer en considération les résistances, les déchirements, les dangers, à calculer les forces politiques et celles d’opinions qui sont pour et contre nous. Enfin, Messieurs, nous connaissons à peine le terrain sur lequel nous devons marcher ; vous trouverez bon, sans doute, que j’essaie de le parcourir, car nous ne devons adopter aucun mode de constitution sans savoir où il nous conduit et ce que nous en pouvons faire.

Nous sommes, Messieurs, au bord d’un précipice. Le patriotisme, les vertus publiques, s’éteignent dans la servitude, et ne peuvent renaître en cet instant que dans les cœurs généreux qui trouveraient encore plus de grandeur à souffrir qu’à opprimer. Mais ne nous dissimulons pas que la régénération de l’Etat, le rétablissement des droits nationaux et de la puissance royale (car le mépris des uns entraîne tôt ou tard la ruine de l’autre), la réforme des abus, ont de nombreux et de puissants ennemis. « Ce n’est pas nous, disait un député des privilégiés, qui avons besoin des Etats généraux ; nous les tenons pour le peuple, et s’il se rend difficile, nous y renoncerons volontiers. » Cette parole ingénue est pour nous d’un grand sens, car elle révèle le secret de tous les abus, de tous les privilèges, de toutes les dominations interposées entre le principe et le peuple, et qui doivent fléchir sous la puissance des lois, lorsque les lois seront l’expression de la volonté générale.

Observez en effet, Messieurs, que l’ordre des choses ancien était parfait pour tous ceux qui eu jouissaient. Les grands, dans une indépendance

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presque entière des lois et de l’ordre public, y déféraient par convenance et par honnêteté. Leurs hommages au monarque, magnifiquement payés, étaient le signe unique de leur condition de sujets. Les ministres, vice-rois dans leurs départements, n’avaient à craindre que les intrigues de la cour et les attaques des parlements : les cours souveraines exerçant un empire encore plus étendu et plus inamovible, opposaient les arrêts aux édits et avaient sur l’administration plus ou moins d’influence. Les commandants et intendants des provinces y jouissaient de l’autorité des ministres. La finance avait une partdirecteau gouvernement, par l’autorité du fisc qui est entre ses mains, et par les ressources ruineuses qu’elle lui fournissait. Enfin le haut clergé, puissant par ses richesses et son crédit, avait une domination plus réelle par son intervention dans toutes les grandes affaires, ses assemblées périodiques et ses relations immédiates à la cour.

Tous ces pouvoirs, souvent en opposition, auraient maintenant un intérêt commun à se rallier : au moins nous devons le craindre, Messieurs, en distinguant par nos éloges et notre reconnaissance ceux qui, dans les premières classes, ont de plus justes idées de la véritable grandeur, et, mettant au-dessus de tous les titres celui de citoyen, ne veulent point laisser le Roi seul au milieu de sa cour ; car ce généreux prince s’est le premier montré enflammé du saint amour de la patrie : et lorsque nos divisions pourraient être l’espoir de la tyrannie, elles sont l’objet de la sollicitude et de l’affliction du père commun et de ses vertueux conseils. Lorsque la mort d’un fils chéri appelle auprès du Roi les consolations de ses peuples, ses larmes paternelles se répandent également, et sur l’enfant précieux qu’il a perdu, et sur cette grande famille dont l’existence ne peut être heureuse que par la paix et l’harmonie. Ne la troublons donc pas, Messieurs, nous 3ui en avons le plus besoin. C’est assez, c’est éjà trop que le clergé et la noblesse tendent à s’isoler du corps national ; si nous ne pouvons les attirer à nous, gardons-nous bien de nous éloigner d’eux ; laissons de leur côté les torts et les dangers d’une séparation ; restons, Messieurs, ce que nous sommes, soit qu’ils s’unissent à nous, soit qu’ils s’en séparent ; nous sommes les représentants du peuple : cette grande existence ne peut nous être contestée ; et, en la conservant sans usurpation dans son intégrité, nous réaliserons les espérances de la nation, malgré tous les efforts des ennemis du bien public. Oui, Messieurs, il dépend de vous de dissiper l’orage qui gronde sur nos têtes ; et il ne dépend plus des ordres privilégiés, si nous sommes prudents et fermes, d’empêcher la plus heureuse issue des Etats généraux.

La nation, consultée par le Roi, dans toutes ses subdivisions territoriales, s’est expliquée sur tous les points qui l’intéressent ; et pour la première fois, par un heureux accord, son vœu est unanime sur tous les points fondamentaux. Nous connaissons les cahiers de tous les ordres dans tous les bailliages du royaume ; il n’en est aucun qui ne s’exprime affirmativement sur les articles indiqués dans le résultat du Conseil du 27 décembre, voilà donc l’émission solennelle du vœu national, dont nous sommes les mandataires. Ce n’est qu’en descendant dans les détails de la législation et de l’administration que nous avons le droit d’une discussion libre et d’un suffrage volontaire. Quant à la réintégration des droits de la nation, elle les réclame par uns volonté unanime ; et