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ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du samedi 6 juin 1789.

CLERGE

M. Decoulmiers fait une motion concernant la cherté des grains et la misère du peuple. Il s'exprime en ces termes :

M. Uccoulniiers, curé d'Abbecourt (1). Mes- seigneurs et Messieurs, ne croyez pas, je vous prié, que ce soit par un zèle outré, ni par aucun esprit o> critique sur l'emploi de notre temps que j'ai l'honneur de vous adresser la parole.

Il eût été bieu à souhaiter que l'union, la con- corde entre les trois ordres, en régnant dès le commencement de nos Assemblées, eût pu nous permettre, selon les fonctions respectables dont nous sommes honorés, de nous livrera notre zèle; notre première occupation eût été sans doute d'en- visager le malheur du peuple.

Nous avons cru qu'il était de notre sagesse de temporiser, de laisser aux esprits le temps de se calmer, dans la douce et heureuse espérance que jetant un coup d'œil en arrière sur les malheurs dont nous sommes menacés, l'amour du bien pu- blic nous animant seul, toutes les difficultés qui nous tiennent dans l'inaction s'applaniraien t.

Prélats respectables à qui j'ai l'honneur de par- ler, il y aurait la plus grande injustice à soupçon- ner votre zèle et votre charité; vos preuves sont acquises; la confiance dont nos concitoyens vous ont honorés en est le témoignage le plus flatteur.

Vous, ministres et pasteurs respectables, pour- rait-on ne pas rendre a voire impatience toute la justice qu'elle mérite? Non!

Eloignés de vos ouailles, vous craignez que personne n'essuie leurs larmes, ne partage comme vous leurs peines, ne les console, ne les aide des conseils que vous savez si à propos leur donner pour les engager à supporter avec patience les malheurs du temps.

Ce sont, Messeigneurs et Messieurs, ces retours sur vous-mêmes qui affligent vos âmes, vous font gémir sur notre inaction. Ce serait ne pas vous connaître que d'en douter.

Ne serait-il pas de notre devoir, afin de nous justifier aux yeux de la nation d'une inaction dont elle nous demandera compte, d'inviter les deux ordres à se réunir à nous afin de faire une dépu- tation des plus solennelles au meilleur des Rois, à qui les annales de l'histoire ne balanceront pas d'accorder le nom de père du peuple, pour lui re- présenter avec toute la force de la vérité, que la misère de son peuple est à son comble; mettre sous les yeux de Sa Majesté ce pain que j'ai l'honneur "de vous présenter.

Vous frémissez sans doute, Messeigneurs et Mes- sieurs; vos âmes attendries se soulèvent en pen- aant que dans l'Ile-de-France, le pays le plus beau, le plus fertile de l'Europe, nos concitoyens, nos amis, nos frères, nos pères nourriciers enfin, en rentrant sous leurs chaumières pour y trouver une substance propre à soutenir, à réparer des forces employées et usées à cultiver une terre destinée à produire notre première nourriture, les aisances, les agréments de la vie, ne trouvent

(1) Le discours de M. Decoulmiers n'a pas été inséré au Moniteur.

que cette nourriture grossière qui, bien loin d'ê- tre un baume de vie, ne sert qu à énerver les for- ces et le courage, emportant avec elle le germe de l'épidémie et de la mort enfin.

Si la misère est si grande proche de la capitale, quelle doit-elle être dans les provinces éloignées? craignons que le père de famille harassé de fati- gue, ayant la douleur de voir sa femme, ses en- fants languissants, lui demander encore avec instance uue plus forte portion de cette substance grossière, que ses bras épuisés ne peuvent plus lui procurer, vu sa cherté excessive, ne rassem- ble le reste de ses forces et ne se livre au plus af- freux désespoir.

Abandonnons ce tableau effrayant dont je ne veux pas même soulever le coin du voile; je le crois absolument inutile en pensant que j'ai l'honneur de parler à des prélats vertueux, à des pasteurs charitables sur quilasimple et pure vé- rité produit l'effet le plus sensible.

Que nos concitoyens sachent donc, par une dé- marche éclatante, commune avec les deux ordres, que, nous réservant le précieux avantage de la provoquer, nos intentions sont aussi pures que nos fonctions sont sacrées, que nous partageons leurs peines, que leurs malheurs nous touchent.

Nous avons, Messeigneurs et Messieurs, fait, par une acclamation générale, Je sacrifice et l'aban- don dents privilèges pécuniaires; que nos enne- mis cessent de nous reprocher une inaction salu- taire à laquelle ils prêtent des vues suspectes.

Non, Messeigneurs et Messieurs, elles ne le sont pas; un parti précipité eût tout perdu, le mal eût été sans remède ; les ressources pour la concilia- tion des trois ordres ne sont pas épuisées ; les bontés, la prévoyance du meilleur des Rois sau- ront les découvrir ; justifions seulement à la na- tion la pureté de nos intentions, en représentant à Sa Majesté, avec la force de la vérité, les mal- heurs qui nous menacent, le désespoir du peuple prêt à se porter aux plus violents excès.

Supplions Sa Majesté d'ordonner les recherches les plus exactes, les plus rigoureuses, afin de dé- couvrir les monopoleurs, les accapareurs des blés qui appartiennent à la patrie.

Cherchons pendant nos débats à tranquilliser le peuple par une démarche qui annonce et qui prouve la pureté de nos intentions ; furçons nos ennemis au silence.

Si, afin d'éloigner la délibération que j'ai l'hon- neur de vous proposer, l'on nous disait que nous ne sommes pas constitués, je répondrais qu'il n'y a pas de forme à établir pour exprimer la misère du peuple avec vérité, dans une circonstance si pressante. Cette démarche ne peut qu'assurer le triomphe de la religion.

A l'unanimité des voix, il est arrêté dénommer une commission pour prendre en considération un objet aussi important, et d'inviter les deux ordres à s'occuper également du même objet.

L'Assemblée prie M. le cardinal de la Roche- foucauld de rendre compte au Roi de cette déli- bération.

NOBLESSE.

La Chambre prend l'arrêté suivant : « L'ordre de la noblesse, empressé de donner au Roi des marques de témoignage de son amour, de son respect et de sa confiance en ses vertus personnelles, et de prouver à la nation entière le désir d'une conciliation prompte et durable ; et fidèle en même temps à ses principes, dont il n'a jamais cru devoir s'écarter, reçoit, avec la plus