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générale ne peut jamais résulter de la vérifica- tion par ordre.

« Mais de ce que les pouvoirs ne peuvent être vérifiés séparément, s'en suit-il qu'ils ne puissent l'être en commun ? Si telle est la condition des Etats généraux, ils sont condamnés à une éter- nelle inaction!; car la même difficulté se pré- sentera pour toutes les matières sur lesquelles ils auront à délibérer; et s'ils adoptent la proposi- tion de s'en rapporter au conseil du Roi, les mi- nistres se trouveront investis du droit de juger la nation et ses représentants.

« Je voudrais bien cependant qu'on me dît où serait la difficulté de vérifier les pouvoirs en commun, si telle était la volonté des membres qui doivent composer l'Assemblée nationale? Et quand les députés des ordres privilégiés ne vou- draient pas se prêter à cette vérification com- mune, je demande si ce serait une raison pour que les représentants de 24 millions d'individus ne pussent vérifier leurs pouvoirs, se constituer en Assemblée du peuple français et commencer leurs opérations, sauf à ne reconnaître les dépu- tés des ordres privilégiés pour députés aux Etats généraux, que lorsque les pouvoirs de ces mêmes députés auraient été vérifiés dans l'Assemblée des représentants du peuple.

« Le pouvoir de juger en dernier ressort de la régularité des élections, ajoutent les commis- saires, ne pourrait être attribué avec équité, ni aux trois ordres réunis, ni à chacun d'eux en particulier; ce pouvoir ne doit pas appartenir à chaque ordre en particulier, parce qu'ils ont tout intérêt à ce qu'un seul n'abuse pas de son influence.

«MM. les commissaires oublient qu'ils nous ont déjà dit que les pouvoirs ne pouvaient être véri- fiés séparément, parce que, dans cette supposi- tion, les personnes qui seraient appelées à déci- der , par leurs opinions , d'un veto ou d'un empêchement quelconque, acquerraient le droit d'influer direclement sur le sort de la nation : ceci ne peut s'entendre sans doute que des deux ordres; car nous ne présumons pas que les com- missaires du Roi veuillent improuver l'influence directe des communes sur le sort de la nation. Voyons cependant, Messieurs, de quelle manière ils s'y prennent pour établir que les pouvoirs ne peuvent être vérifiés en commun.

« Il ne peut pas appartenir non plus, disent- ils, aux trois ordres réunis, puisque ce serait l'attribuer essentiellement aux représentants du tiers-état, vu la supériorité de leurs suffrages, et le Roi ne leur a pas accordé cette supériorité de suffrages, pour leur donner le moyen d'en augmenter la puissance, en obtenant une in- fluence prépondérante sur la formation même de l'Assemblée.

« Mais que les ministres nous disent donc pour quelles raisons ils ont accordé cette prétendue supériorité de suffrages aux représentants du peuple? N'était-ce que pour se ménager un pré- texte d'attirer à eux seuls toutes les décisions? N'était-ce que pour avoir le droit de nous dire: Vous ne pouvez délibérer en commun, ni séparé- ment; donc il faut que vous vous en rapportiez au Roi, ou plutôt à nous? »

Telle est, en effet, la conclusion de MM. les commissaires du Roi.

C'est donc au Roi, disent-ils, que semble appar- tenir, en raison et en équité, le jugement final sur toutes les contestations relatives aux élections. Ce principe est une suite, une dépendance du rè- glement souverain qui a détermine pour cette fois

le nombre respectif des députés aux Etats géné- raux; ainsi les trois ordres qui se soumettent à la fixation établie par Sa Majesté, feraient une ex- ception minutieuse, s'ils répugnaient à le prendre pour juge dans le très-petit nombre de contesta- tions qui pourraient s'élever sur la vérification des pouvoirs.

A quoi sert que MM. les commissaires du Roi nous disent ensuite : qu'on ajoute encore, si Pon veut, que ces conventions sur la vérification des pouvoirs n'auraient aucune liaison avec la grande question de la délibération par ordre ou par tête?

On ne doit pas se dissimuler que la vérification des pouvoirs préjuge la question du mode d'opi- ner; car vérifier les pouvoirs, n'est-ce pas délibé- rer sur la légalité ou l'illégalité de ces mêmes pouvoirs? Cette question est donc nécessairement liée à celle de la délibération par ordre ou par tête; ou, pour mieux dire, c'est la même question; et de quel droit un être quelconque dans la na- tion, un tribunal, quel qu'il puisse être, autre que les Etats généraux eux-mêmes, oseraient-ils se prononcer à cet égard?

Mais je suppose qu'on veuille diviser une ques- tion indivisible; s'il est impossible â l'Assemblée nationale de statuer sur la vérification des pou- voirs, il lui sera tout aussi impossible de statuer sur le mode d'opiner et sur toutes les autres ma- tières dont elle voudra s'occuper, de manière qu'en dernière analyse, ce seront les ministres qui décideront de tout. Il leur sied bien de nous imputer les divisions qui sont leur ouvrage; de nous dire « que le Roi ne reste pas seul au milieu de sa nation à s'occuper sans relâche de l'établis- sement de la paix et de la concorde. »

En s'exprimant de cette manière, sans doute ils peignent fidèlement les intentions et la solli- citude de Sa Majesté; mais pourquoi donc se per- mettent-ils de contrarier ses vues bienfaisantes? pourquoi ne les ont-ils pas secondées de tout leur pouvoir? pourquoi veulent-ils nous charger des malheurs qu'ils feignent de redouter, et qui ne seraient jamais que la suite de leur impéritie, ou peut-être d'un motif que le temps, qui découvre tout, dévoilera dans toute sa turpitude?

Ce serait donc manquer à nous-mêmes. Mes- sieurs, ce serait prévariquer que d'adopter la pro- position des commissaires du Roi; elle attente aux droits de la nation; elle blesse également la justice et la convenance ; elle repose sur des faits les uns faux, les autres inexacts, sur des principes condamnables, sur des subtilités qui ne sont pas même captieuses; elle aurait les suites les plus redoutables; elle paralyserait de mort l'Assemblée nationale, avant même qu'elle eût manifesté son existence ; elle ferait avorter la der- nière espérance de la nation.

M. le Doyen pose la question en ces termes : La discussion et la délibération sur le projet

présenté par les ministres auront-elles lieu avant

la clôture du procè3-verbal des conférences, ou

îiDrès ? L'Assemblée décide, à la majorité de 400 voix

contre 26, qu'elles n'auront lieu qu'après.