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commissaires conciliateurs, sous les réserves et les protestations les plus expresses qu'il ne pour- rait en être tiré aucune induction pour la ques- tion delà délibération par ordre ou par tête?

Si la conscience des opposants n'est point cal- mée par cet- expédient; s'ils persistent à croire que la forme de vérifier influe sur la forme de délibérer, que le même serment qui repousse l'opinion par tête repousse toute idéo de vérifica- tion en commun, alors ne parlons plus de véri- fication ; parlons de la délibération par ordre ou par tête ; abordons la difficulté ; montrons-la tout entière, et ne craignons pas d'affliger l'hon- nête et timide patriote qui tremble de la voir, qui cherche à en dout> r, qui s'efforce de croire à la possibilité d'une conciliation : c'est un mé- nagement cruel que de présenter un espoir trompeur.

Je le prononcerai donc nettement : dans cette nouvelle hypothèse il n'y a pas de conciliation possible.

Une partie des représentants a fait serment de n'opiner que par ordre.

Une autre partie a fait serment de n'opiner que par tête.

On ne transige point sur un serment ; nulle conciliation ne peut l'atténuer, nul ne peut le résilier, que celui à qui on l'a prêté

Mais s'il n'y a point de conciliation possible sur l'objet qui divise les représentants de la nation dès l'entrée de leur carrière, qu'en résultera-t-il donc ?

Ce qui en est résulté dès ce moment : la néces- sité invincible que tôt ou tard chacun retourne à ses commettants exposer l'état des choses et demander de nouveaux pouvoirs.

Ici se présente une nouvelle question.

Les députés retourneront-ils sur-le-champ vers leurs commettants sans avoir autre chose à leur annoncer que la division qui existe, ou serait-il possible qu'en différant leur départ, ils apportas- sent du moins avec eux des paroles de consola- tion, et la preuve que, si l'on a été divisé dans la forme, on s'est réuni sur le fond et sur les ar- ticles précieux de la constitution ?

Le premier parti, celui du retour instantané, laisserait-il beaucoup de ressources ? Si déjà l'on se craignait avant ce qui vient d'arriver, ne se craindra-t-on pas plus encore en l'apprenant? La résistance mutuelle n'affermira-t-elle pas l'opi- niâtreté réciproque? Voudra-t-on changer les pouvoirs, et, si on ne les change pas, que de- venir?

Le second parti, c'est-à-dire un retour différé, et qui tempérerait, qui ferait presque oublier une annonce douloureuse parles nouvelles consolantes qui l'accompagneraient, serait sûrement préfé- rable ; mais est-il possible ? Je le crois, et voici comment je l'établis.

Il faut être entièrement constitués pour faire des lois ; mais il suffit d'être assemblés pour faire des projets de lois.

Laissons en arrière ce qui nous divise; empa- rons-nous de ce qui doit nous réunir.

Les uns veulent opiner par ordre, les autres veulent opiner par tête ; mais tous certainement veulent une constitution pour la France, veulent la liberté individuelle, veulent le consentement de la nation pour les impôts, veulent la périodi- cité des Etats généraux, veulent le concert des deux parties intégrantes delà souveraineté, c'est- à-dire du Roi et de la nation pour former les lois, veulent le pouvoir exécutif dans la main du Roi seul, veulent enfin la responsabilité de

tous les ministres secondaires de ce pouvoir exé- cutif.

Eh bien 1 que les trois ordres traitent séparé- ment et successivement chacun de ces objets ; qu'ils se transmettent leurs débats et leurs réso- lutions par leurs commissaires conciliateurs ; que par ces mêmes commissaires un projet de loi uniforme soit rédigé sur chacun de ces points constitutionnels; que par leur moyen e;icore les ordres se transmettent le projet des déclarations respectives que chacun fera pour assurer à l'autre la justice qui lui est due, pour que l'un souscrive à 1 égalité entière de répartition de tous les sub- sides, et pour que l'autre reconnaisse l'inviolabi- lité de tous les privilèges honorifiques et droits seigneuriaux ; qu'ils ne manquent pas surtout de se concerter et de s'entendre sur l'organisation de l'Assemblée nationale, soit sur sa conservation en trois Chambres, soit sur sa réduction en deux. Tous ces points une fois convenus entre le Roi et les différents ordres, que les députés, après s'être prorogés à un jour fixe, se séparent; qu'ils ail- lent rejoindre leurs commettants. L'estime et la confiance les précéderont ; les bénédictions de la France les suivront. Ils diront à ceux dont ils tiennent leurs pouvoirs: « Vous aviez exigé, nous avions fait un serment peut-être impru lent; mais vous avez été obéis; mais nous avons été fidèles. Cependant nous avons tout fait pour l'u- nion, excepté ce qui nous était impossible et ce qui n'est possible qu'à vous. Voici des lois toutes dressées ; elles sont consenties par tous les or- dres ; elles sont accordées par le Roi ; il ne reste plus qu'à les sanctionner. Lisez-les, voyez-y vos propriétés, vos libertés, vos droits assurés pour jamais. Plus de méfiance, plus de crainte à avoir; les ordres se sont fait justice. Dites un mot, et tous ces projets vont se changer en lois, et vous allez d'un mot créer votre félicité, votre gloire et celle des générations futures. » Croyez-vous, Mes- sieurs, que de tels députés, parlant ainsi, s'étant ainsi conduits, n'obtiennent pas dans l'instant toute la liberté d'action, toute l'étendue de pou- voir nécessaire pour consommer leur ouvrage ? Ah 1 j'ose vous en répondre ; et personne de vous n'en doute. Non, les Frauçais, qui peuvent faire l'envie du monde entier, ne voudront pas en être la fable. Us ne voudront pas que l'on dise : la liberté marchait au devant d'eux ; un Roi juste l'appelait lui-même entre lui et son peuple ; tout les favorisait; leurs volontés étaient d'accord avec les circonstances ; tous formaient les mêmes vœux, tous désiraient, tous disaient les mêmes choses ; mais ils n'ont pu s'entendre sur la ma- nière et sur le lieu de les dire. Ils ont perdu un moment qui ne se représentera jamais. Us n'ont eu ni lois, ni liberté, ni constitution, parce qu'ils n'ont pu s'accorder sur la forme de la séance dans laquelle ils devaient les obtenir.

Je me résume, Messieurs, et j'oserai vous pro- poser d'insérer dans les pouvoirs que vous don- nerez à vos commissaires, un article ainsi conçu :

Les commisssaires conciliateurs seront auto- risés à proposer :

1° Que le clergé et le tiers vérifient séparément leurs pouvoirs, comme a fait la noblesse ;

2° Que les trois ordres se rendent compte de leurs vérifications respectives et les ratifient mu- tuellement par l'entremise des commissaires con- ciliateurs, qui seront juges en définitif de toutes les coniestations nées ou à naître à cet égard ;

3° Que sans s'arrêter à aucune autre discus- sion, laquelle sera laissée en arrière, les trois ordres, chacun dans sa Chambre, s'occupent de