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dace qu'inspire l'attente du succès, et bientôt, à la place d'une monarchie, établir la plus cruelle anarchie.

Placés entre ces deux écueils, les peuples sou- mis à un gouvernement monarchique se voient sans cesse livrés au despotisme ou à la licence. Mais le régne de l'anarchie est court ; de l'horreur qu'elle inspire naît dans les cœurs le désir de l'ordre et l'amour de la paix ; et alors se réveille le despotisme, qui ne règne jamais avec plus d'é- nergie que sur les peuples que fatiguèrent l'anar- chie et ses malheurs- Ce fut pour éloigner ces fléaux et conserver au peuple toute la liberté qui peut exister avec une monarchie, que la nation éleva ces barrières, ces pouvoirs divers, qui, attachés au môme objet, n'ayant tous que le môme but, mais tous indé- pendants les uns des autres, et cependant ne pou- vant agir que par leur mutuel accord, opposent une invincible barrière aux innovations, arrêtent les élans de l'impétuosité, répriment les usurpa- tions de l'autorité royale et assurent l'excellence des lois par leur mutuelle surveillance, et leur permanence par leur résistance.

Telle est la constitution que maintenant l'on voudrait détruire pour y substituer l'autorité unique d'une Assemblée dont le pouvoir devien- drait bientôt plus effrayant que ne le furent l'au- torité et ses excès.

En détruisant les pouvoirs qui se surveillent et se balancent, que veut-on établir?

On se plaignait avec raison du pouvoir arbi- traire, dégénération du pouvoir monarchique quand il n'est plus balancé par le pouvoir natio- nal ; mais, pour le réprimer, on nous montre un pouvoir bien plus redoutable, celui d'une Assem- blée unique, égarée par mille passions, aigrie peut-être par la résistance qu'elle éprouve, dési- reuse d'établir son empire, surtout de l'exercer, et l'établissant en dernière analyse sur le droit de force auquel il est impossible de poser des limites.

11 n'est pas donné à l'esprit humain de calculer les effets d'un pareil changement. La monarchie et l'autorité populaire réunies en une seule As- semblée, ne peuvent exister. Des innovations suc- cessives amèneraient tôt ou tard une résistance ; alors, mais trop tard, nous regretterions ces lois constitutives qui nous en auraient garantis. Notre malheur, après les avoir perdues, serait de les re- gretter vainement, et de ne sentir toute leur uti- lité, que lorsque nous ue pourrions plus nous en ressaisir.

Le peuple veut la liberté, l'égalité des impôts, l'assurance des propriétés, la consolidation de la dette publique; il obtiendra, il jouira de tous les biens que sa volonté réclame ; mais le peuple ne veut pas détruire l'autorité royale, en lui enlevant les barrières qui la garantissent des atteintes que l'on chercherait à lui porter et qui garantissent le peuple des abus de cette autorité conserva- trice. Le peuple, en demandant la liberté, ne veut pas la destruction des ordres, qui, par leur résis- tance mutuelle, assurent la liberté nationale : le peuple en voulant conserver ses propriétés, ne veut pas envahir celles d'autrui.

Le peuple en voulant l'égalité d'impôts qu'on lui assure, ne veut pas se servir de ces sacrifices pour enlever aux deux premiers ordres la juste influence que la constitution leur donne, et qu'à leur tour ils rendent à cetle constitution, en as- surant sa permanence.

Le peuple ne veut pas surtout substituer à l'au- torité des lois et du Roi, la licence et l'anarchie,

et reconnaître ses maîtres et ses despotes dans ses représentants.

Défenseurs du peuple, c'est nous qui, en main- tenant la constitution, maintiendrons ses plus justes droits.

C'est à nous qu'il devra l'existence de cette an- tique monarchie, et la permanence de ces pou- voirs qui en assurent le salutaire exercice.

Vainement cherche-t on à l'égarer, à tromper son opinion, à nous menacer de sa défaveur.

De très-petits moyens peuvent, en effet, sur- prendre pour un moment la faveur et l'opinion publique; mais vous serez jugés par la postérité; vous le serez bientôt par vos contemporains eux- mêmes. Le règne de l'intrigue est de courte du- rée ; celui de la vérité est éternel.

Descendants de ces hommes courageux qui con- servèrent, au péril de leur vie, l'empire français, vous rapporterez sans tache à vos aïeux le nom qu'ils vous ont transmis.

Vos décrets vont défendre ce qu'ils établirent : vous allez vous associer à leur gloire, en assu- rant cette constitution pour laquelle ils ont vécu. 11 est un temps où les citoyens sont appelés à de grands et généreux sacrifices; il en est où il faut mourir auprès des lois, après les avoir défendues. Ces temps sont arrivés. Ralliés à l'antique cons- titution, appelés près de ce trône que soutinrent nos pères, réunis autour de ce monarque suc- cesseur de tant de rois pour lesquels nos aïeux sacrifièrent leur vie, nous avons, il est vrai, senti les abus du pouvoir; nous voulons le ramener dans les limites que la constitution plaça autour du trône. Ce grand ouvrage sera le but de nos travaux ; mais après avoir rappelé cette constitu- tion, oubliée peut-être, mais toujours vivante, jurons dans nos cœurs de ne vivre que pour elle et de mourir avec elle.

Plusieurs membres prétendent qu'avant de dis- cuter cette importante question il faut compléter la Chambre par la vérification des pouvoirs des députés présents et par l'acte de défaut contre les absents; on réclame aussi la discussion d'un mé- moire conciliatoire proposé par M. d'Harembure.

Après six heures de débats, la motion de M. de Routhilier est adoptée en ces termes :

a La Chambre de la noblesse, considérant que, dans le moment actuel, il est de son devoir de se rallier à la constitution et de donner l'exemple de la fermeté, comme elle a donné la preuve de son désintéressement, déclare que la délibération par ordre et la faculté à'empêcher, que les ordres ont tousdivisément, sont constitutifs delà monar- chie, et qu'elle persévérera constamment dans ces principes conservateursdu trône et de la liberté. »

Cet arrêté passe à la pluralité de 202 voix con- tre 16. Dix membres s'y opposent formellement et en demandent acte.

Pendant le cours de la délibération , le mar- quis de Rrézé apporte la lettre du Roi et la fait remettre au président. On observe que la Chambre étant constituée, la lettre doit être re- mise conformément au cérémonial d'usage. M. de Brézé dit qu'il lui faut de nouveaux ordres du Roi. Un instant après, il revient, prend séance et remet la lettre du Roi.

(Voyez nlus loin, aux communes, le texte de la lettre du Roi).

M. le président lui répond que la Chambre dé- sire faire ses remercîments et sa réponse à Sa Ma- jesté par une députation ; le marquis de Brézé ré- pond que le Roi fera connaître ses intentions.