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Mais cette loi que l'on voudrait proscrire, cette oi constitutive, sauve-garde de la propriété et de a liberté, nous devrions l'établir si elle n'existait tas; nous devons à quelque prix que ce puisse itre, la maintenir dans toute sa valeur.

Il fut un temps où les deux premiers ordres, acquittant, par des services personnels, ce qu'ils devaient à l'Etat, jouissaient des immunités et franchises qui éloignaient de leur3 propriétés les impôts que supportaient les autres citoyens ; alors même, cette loi parut utile et nécessaire à la con- servation de la liberté nationale.

Cet intérêt particulier, aux deux premiers ordres, pouvait cependant alarmer l'ordre du tiers, et lui faire redouter l'indépendance et le droit de résistance des deux premiers ordres, sur- tout dans un moment où les besoins de l'Etat de- venaient si urgents, qu'il était nécessaire que l'impôt atteignît tous les citoyens, toutes les pro- priétés. Vos sacrifices ont précédé la demande que le peuple pouvait vous faire. Nos commet- tants se sont hâtés de briser cette barrière. Ils se sont élevés même à de plus hautes pensées. Us ont vu que la liberté publique et la sûreté de tous exigeaient cet abandon de leurs privilèges; ils ont vu que c'était en s'y soumettant, que n'ayant plus qu'un même intérêt avec le peuple, ils rendraient l'indépendance des trois ordres et leur résistance la sauvegarde des lois et de la liberté.

Mais l'égalité de l'impôt qui frappe les proprié- tés, doit assurer la stabilité de ces propriétés elles-mêmes, et maintenir par conséquent le seul ordre de choses qui en assure la permanence.

Vainement a-t-on répondu que l'ordre du tiers nous offrirait, par un décret positif, la conserva- lion de toutes les propriétés. Ce décret, tout au moins singulier, ne vous a pas été offert. L'ordre du tiers a sûrement conçu, que délibérer un pa- reil décret n'était pas en sa puissance ; qu'il ne lui appartenait pas d'assurer les propriétés, parce qu'il n'a jamais eu le droit èe les envahir, et que c'est la loi seule qui garantit les propriétés et non les promesses d'un ordre contractant avec un autre ordre. Si ce bizarre contrat eût jamais été admis, quel eût donc été votre sort? Quelle serait votre garantie, si, à ce prix,. déserteurs de la loi de vos pères, vous abandonniez cette indépen- dance qu'ils vous ont transmise ? S'il n'existe plus qu'une seule volonté dans l'Etat; si le pouvoir législatif ne réside plus que dans une seule As- semblée, quel sera le garant de ce pouvoir légis- latif envers lui-même? Dès lors, cette seule As- semblée, ne connaissant plus dans ses divisions des obstacles invincibles, peut tout ce qu'elle veut ; et il sera possible, qu'après avoir détruit la puissance des ordres, elle anéantisse aussi la sanc- tion royale et promulgue des lois sous la consti- tution du Roi.

La sanction du Roi, Messieurs, ne repose pas sur des fondements plus assurés que la mutuelle indépendance des ordres; le même principe, qui veut anéantir par l'effet de la force le pouvoir indépendant, s'applique à tout, peut s'exercer en- vers tous. C'est maintenant nous qu'il attaque. Quand nous n'existerons plus, quel est le garant qui puisse assurer qu'il ne s'appliquera pas sur le sanction royale, qui seule légitime et sanctionne la loi? En admettant donc une seule Chambre nationale délibérant par tête, à quoi vous servi- • ront ces promesses qui assurent, dit-on, vos pro- priétés? Le Corps législatif ne peut jamais être lié par ses précédentes volontés, elles ne sont pour lui que de simples résolutions. Ne veut-on

pas aujourd'hui renverser la constitution antique ? Vous seuls y faites obstacle. Quand vous ne serez plus, croyez-vous qu'il sera moins difficile d'a- néantir le décret qui assure vos propriétés, qu'il ne le fut de détruire l'existence des trois ordres, leur puissance, leur mutuelle indépendance? par un abus de raisonnement, on cherche a vous en- lacer à la fois, et par vos privilèges et par vos sacrifices.

Si vos privilèges existent, on s'en autorise pour vous taire apercevoir dans leur maintien un in- térêt particulier à l'ordre de la noblesse et opposé à l'intérêt public.

Si vous y renoncez, on s'arme aussitôt de vos propres sacrifices pour vous dire que, n'ayant plus que le même intérêt avec le tiers, vos déli- bérations doivent être communes.

Oui, Messieurs, le sacrifice de vos privilèges unit tous les intérêts; et c'est alors que vous de- vez défendre, jusqu'au dernier soupir, une consti- tution conservatrice du* la liberté et des lois.

Détachés de vos privilèges, c'est alors que l'a- mour seul de la patrie vous unit à la constitu- tion ; et se serait parce que cet attachement sera, pour jamais, isolé de tout intérêt particulier, qu'il faudrait y renoncer! cela est-il concevable?

Si la France, resserrée dans ses limites, défen- due par la nature même de son sol, pouvait con- naître tous ses citoyens et repousser ses ennemis par ces barrières qu'éleva la main de la na- ture; alors, peut-être alors, il eût été possible que la liberté populaire pût exister; alors, ce ne serait pas une chimère de la désirer et de vouloir l'y établir.

Quand le peuple peut tout faire par lui-même, sans confier ses intérêts à des représentants, alors seulement la liberté populaire peut exister.

Mais quand l'immense étendue d'un vaste em- pire, la facilité de l'attaquer, la volonté de tous de former un même ensemble, l'horreur même qu'inspirerait l'idée de se séparer de l'antique monarchie, nécessite l'établissement et la conser- vation de la monarchie; alors la liberté nationale n'existe à côté de la puissance royale que par des Assemblées où la réunion des représentants de la nation oppose une barrière à ce même pou- voir exécutif, qui, conservateur de l'empire au dehors, doit maintenir au dedans la puissance des lois et de la liberté.

Mais entre un Roi et l'Assemblée des représen- tants du peuple, il existe toujours, par la nature même des choses, une rivalité de puissance qui amènerait tôt ou tard ou l'anarchie, ou la tyran- nie. Cette rivalité mutuelle, bien loin d'être un mal politique, est un signe de liberté et de vie. La surveillance naît de cette rivalité; mais il faut pour qu'elle cesse d'être dangereuse, qu'elle soit modifiée et qu'il se trouve dans la constitution même, des divisions du pouvoir national, qui, alternativement obstacles et médiateurs, arrêtent l'impulsion du pouvoir exécutif qui tend au des- potisme, et les attaques du pouvoir du peuple, qui tendent à la démocratie, qui, dans un grand empire, n'est autre chose que l'anarchie.

Sous un Roi pervers et habile, sous un ministre corrupteur, s'd n'existait qu'une seule Assemblée nationale, sans aucune division, il serait facile à l'autorité d'égarer ou de corrompre une pareille Assemblée et d'en obtenir des décrets qui amène- raient bientôt le despotisme.

Sous un ministre faible, le peuple égaré par de perfides insligations, pourrait envahir sur l'au- torité monarchique, regarder son abaissement comme une victoire, y travailler avec cette au-