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et qui frapperait de la plus détestable, si ce n'était en même temps de la plus pitoyable nullité, toutes nos opérations.

Voilà, Messieurs, où conduit le système que pro- posent les deux ordres, et dont sans doute ils n'ont pas senti toutes les conséquences

Je ne parlerai point de la proposition d'un des commissaires du clergé ; elle est probablement celle d'un ami de la paix : mais outre qu'en recon- naissant qu'il y a dans la vérilication des pouvoirs, procès et nécessité à un jugement, elle nous ren- voie à la sévérité du principe sur le choix des ju- ges ; outre qu'elle ne saurait jamais échapper à cette observation simple, que s'il est possible, s'il est nécessaire, s'il est inévitable de se réunir pour la solution decertainesdifticultés, il n'existe point une raison de ne pas se réunir pour la solution de toutes les difficultés. La proposition d'un seul homme ne peut point, en pareil cas, être matière à délibération, et nous savons que la noblesse a déjà repoussé les expédients.

Sans doute, Messieurs, le système des ordres privilégiés est très-conséquent. L'un s'est déclaré légalement constitué, il s*est lui seul investi de tous les pouvoirs qu'il a trouvés à sa conve- nance, il a fait des actes de véritable souveraineté, et l'un de ses membres, tout en parlant des prin- cipes constitutifs de la monarchie, ridicule cri de ralliement de tous ceux qui voudraient bien que la monarchie ne fût jamais constituée, n'a pas craint d'appeler l'Assemblée des députés présumés de la noblesse, cette Chambre législative et souve-

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L'autre, plus temporiseur, plus circonspect et surtout plus menacé de divisions intérieures, sous le titre modeste d'Ëtatsprovisoires, fait à peu près les mêmes choses, et tend évidemment au même but, avec cette circonstance très-remarquable, qu'il augmente tous les jours par sa modération même le nombre de ses auxiliaires; tandis que la démarche violente de la noblesse attiédit les pré- jugés des hommes de bonne foi qu'elle renferme, et augmente les forces des amis de la liberté et de la paix.

Que devons-nous à nous-mêmes, dans ces cir- constances, pour être fidèles tout à la fois à notre système de pacification, à nos devoirs, et aux in- térêts rie nos commettants?

J'ai déjà eu l'honneur de le dire dans cette As- semblée, Messieurs, je ne conçois pas qu'il puisse être ni convenable ni prudent de traiter de même avec celui qui ordonne sans titre, et celui qui négocie de notre gré. Est-il bien certain, d'ail- leurs, que dans ce système il y ait compensation entre nos acquisitions et nos pertes? fc'est-il que le contraste de la conduite des communes et des ordres privilégiés nous acquiert autant d'amis dans la noblesse, que l'intrigue favorisée par nôtre inaction nous en fait perdre dans le clergé? L'est- il qu'une plus longue persévérance dans notre immobilité, et surtout dans l'uniformité de notre tolérance, ne compromette pas les droits natio- naux, en propageant l'idée que le monarque doit prononcer, si les ordres ne peuvent s'accorder ; qu'au lieu de n'être que l'organe du jugement na- tional, il peut en être l'auteur. Ces maximes très- odieuses, mais autorisées par des exemples, si la déraison et l'injustice pouvaient l'être, et que la mauvaise foi parvînt à confondre les temps et les circonstances, ces maximes acquerront tous les jours beaucoup de partisans, parce qu'elles ont beaucoup de preneurs intéressés, et que le besoin de faire et d agir qui nous tourmente leur con- quiert un grand nombre de suffrages.

lime semble qu'il est temps, sinon d'entrer en pleine activité, du moins de nous préparer de manière à ne pas laisser le plus léger doute sur notre résolution, sur nos principes, sur la néces- sité où nous sommes de les mettre incessamment en pratique. Craignons qu'une plus longue persé- vérance dans notre immobilité ne compromette les droits nationaux en propageant l'idée que le monarque doit prononcer; qu'au lieu de n'être que l'organe du jugement national, il peut en être l'auteur.

Les arguments de la noblesse se réduisent à ce peu de mots: nous ne voulons pas nous réunir pour juger des pouvoirs communs. Notre rôponseest très- simple. Nous voulons vérifier les pouvoirs en commun. Je ne vois pas pourquoi le noble exem- ple de l'obstination, étavô de la déraison et de l'injustice, ne serait point à l'usage de la fermeté qui plaide pour la raison et pour la justice.

Le clergé persévère dans le rôle de conciliateur qu'il a choisi, et que nous lui avons confirmé. Adressons-nous à lui, mais d'une manière qui ne laisse pas le plus léger prétexte à une évasion.

Et pour y parvenir, j'ai l'honneur de vous de- mander d'abord de fixer un terme, et un terme très-court, à la nouvelle conférence que l'on vous propose d'ordonner à vos commissaires.

Je vous demande ensuite de décréter une dé- putation vers le clergé, députation très-solen- nelle et très-nombreuse, qui, résumant tout ce que nos adversaires ont si subtilement allégué, tout ce que nos commissaires conciliateurs ont si bien dit, abjurera les ministres du Dieu de paix de se ranger du côté de la raison, de la justice, de la vérité, et de se réunir à nous pour tenter un nouvel effort auprès de la noblesse. Si les es- pérances que nous avons conçues d'une grande partie du clergé sont fondées, elles se réaliseront à l'instant même; et quelle différence pour nous d'inviter la noblesse, de la sommer au besoin, de réclamer contre elle, s'il est malheureusement nécessaire, réunis avec le clergé ou isolés de lui ! Mais quel que soit le succès d'une telle démarche, elle vous donnera l'honneur de tous les procédés, elle conquerra l'opinion universelle à votre mo- dération et à votre fermeté.

Si par impossible les privilégiés s'obstinent dans leur conduite impérieuse et ambiguë, nous re- courrons au eommissaire du Roi, et nous lui de- manderons de faire respecter son ajournement. M. le garde des sceaux, par ordre du Roi, a ajourné cette Assemblée. Toute Assemblée ajour- née doit incontestablement se retrouver la môme qu'elle était au moment où on l'a ajournée. M. le garde de des sceaux doit donc faire respecter et exécuter l'ordre du législateur provisoire dont il a été l'organe ; et ce n'est qu'alors que la con- duite des privilégiés aura montré tout à la fois leur indiscipline et l'impuissance du ministre, que, forcés d'établir et d'exercer vous mêmes les droits nationaux, vous aviserez dans votre sa- gesse aux moyens les plus paisibles, mais les plus sûrs, d'en développer l'étendue.

La motion de M. de Mirabeau est accueillie par acclamation et exécutée au même instant. Les commissaires conciliateurs et les membres du bureau se rendent ensuite dans la salle où le clergé est assemblé.