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M. Rabaud de Saint-Etienne demande que nous autorisions MM. du bureau à conférer avec les commissaires du clergé et de la noblesse pour obtenir la réunion des membres qui doivent for- mer les Etats généraux.

M. Chapelier désire que, dans une déclaration très-formelle, nous démontrions au clergé et à la noblesse l'illégalité de leur conduite, et que nous les avisions des démarches qu'il deviendra néces- saire d'opposer à leurs prétentions.

Ce dernier avis, plus conforme aux principes que le premier, il faut en convenir, plus animé de cette mâle énergie qui entraîne les hommes à leur insu même, renferme, selon moi, un grand inconvénient dont les préopinants ne m'ont pas paru tous assez frappés.

Indépendamment de ce que le parti que nous propose M. Chapelier tend à porter un décret très- solennel avant que nous ayons une existence lé- gale, indépendamment de ce qu'il confond deux ordres qui ont tenu une conduite très-différente, indépendamment de ce qu'il avertit nos adver- saires d'un système qu'il est bon de ne faire con- naître qu'en le développant tout entier lorsque nous-mêmes en aurons saisi toutes les consé- quences, il appelle, il nécessite en quelque sorte une déclaration de la noblesse encore plus im-

Eérative que celle dont nous fûmes accueillis ier; une déclaration que, dans nos formes ac- tuelles, nous ne sommes ni préparés ni aptes à repousser, et qui cependant peut exiger les réso- lutions les plus promptes. Si nous sommes per- suadés, Messieurs, autant que nous devons l'être, qu'une démarche aussi mémorable, aussi nou- velle, aussi profondément décisive que celle de nous déclarer Assemblée nationale, et de pro- noncer défaut contre les autres ordres, ne saurait jamais être trop mûrie, trop mesurée, trop impo- sante, et même qu'elle nécessite d'autres actes, sans lesquels nous pourrions obtenir pour tout succès une dissolution qui livrerait la France aux plus terribles désordres ; nous devons infiniment redouter de nous trouver contraints en quelque sorte par notre déclaration même, à faire avec précipitation ce qui ne peut jamais être soumis à trop de délibérations.

D'un autre côté, la motion de M. Rabaud de Saint-Etienne dissimule entièrement la conduite arrogante de la noblesse; elle donne en quelque sorte l'altitude de la clientèle suppliante aux communes qui, ne fussent-elles pas bravées et presque déliées, doivent sentir qu'il est temps que le peuple soit protégé par lui seul, c'est-à- dire par la loi qui suppose l'expression de la volonté générale. Cette motion enfin traite avec la même déférence ceux qui, se rendant juges dans leur propre cause, n'ont pas même daigné condescendre à la discuter, et ceux qui, plus ha- biles ou plus délicats, couvrent du moins de quelques procédés leur marche irrégulière et chancelante.

Ces deux avis, chacun dans leur sens, me pa- raissent également exagérés.

Et qu'où ne nous répète pas de grands lieux communs sur la nécessité d'une conciliation. Rien n'est plus aisé que de saisir, par ce mot salutaire, les esprits peu attentifs ou même les bons citoyens qui ont plus de qualités morales que de connaissance des affaires, plus de zèle que de prévoyance; car le vœu de tous les cœurs honnêtes est la concorde et la paix; mais les hommes éclairés savent aussi qu'une paix durable n'a d'autre base que la justice, qui ne peut repo- ser que sur les principes.

Mais peut-on, sans aveuglement volontaire, se flatter d'une conciliation avec les membres de la noblesse, lorsqu'ils daignent laisser entrevoir qu'ils pourront ne s'y prêter qu'après avoir dicté des lois exclusives de toute conciliation ? lors- qu'ils font précéder leur consentement à nommer des commissaires pour se concerter avec les au- tres ordres, de la Mère déclaration qu'ils sont légalement constitués ? N'est-ce pas là joindre la dérision au despotisme ? Et que leur reste-t-il à concerter du moment où ils s'adjugent eux-mêmes leurs prétentions ? Laissez-les faire, Messieurs; ils vont nous donner une constitution, régler l'Etat, arranger les finances, et l'on vous apportera so- lennellement l'extrait de leurs registres pour servir désormais de code national... Non, Mes- sieurs, on ne transige point avec un tel orgueil, ou l'on est bientôt esclave.

Que si nous voulons essayer encore des voies de conciliation, c'est au clergé, qui du moins a eu pour nos invitations l'égard de déclarer qu'il ne se regardait pas comme constitué légalement, et cela au moment même où la noblesse nous dic- tait ses décrets souverains; c'est au clergé qui, soit intérêt bien entendu, soit politique déliée, montre le désir de rester fidèle au caractère de médiateur; c'est au clergé, trop habile pour s'ex- poser au premier coup de tempête; c'est au clergé, qui aura toujours une grande part à la confiance des peuples, et auquel il nous importera longtemps encore de la conserver; c'est au clergé qu'il faut nous adresser, non pour arbitrer ce différend (une nation, juge d'elle et de tous ses membres, ne peut avoir ni procès ni arbitrer avec eux), mais pour interposer la puissance de la doctrine chrétienne, des fonctions sacrées, des ministres de la religion, des officiers de morale et d'instruction; qu'elle consacre à faire revenir, s'il est possible, la noblesse à des principes plus équitables, à des sentiments plus fraternels, à un système moins périlleux, avant que les députés des communes, obligés de remplir enfin leur de- voir et les vœux de leurs commettants, ne puis- sent se dispenser de déclarer à leur tour les principes éternels de la justice et les droits im- prescriptibles de la nation.

Cette marche a plusieurs avantages : elle nous laisse le temps de délibérer mûrement sur la conduite à tenir avec la noblesse et sur la suite des démarches qu'exigent ses hostilités ; elle offre un prétexte naturel et favorable à l'inaction qui est de prudence, mais non pas de devoir; elle fournit à la partie des députés du clergé, qui fait des vœux pour la cause populaire, l'occasion dont ils ont paru très-avides, de se réunir avec nous ; elle donne enfin des forces à la trop peu nom- breuse partie de la noblesse, que sa généreuse conduite nous permet de regarder comme les au- xiliaires des bons principes. Vous conservez donc ainsi tous vos avantages, et vous ne vous com- promettez en aucun sens, ce qui ne peut pas se dire dans tous les systèmes; car on aura beau se récrier sur ce qu'on appelle des disputes de mots, tant que les hommes n'auront que des mots pour exprimer leur pensée, il faudra peser ces mots. Et, de bonne foi, est-ce bien à ceux qui courbent la tête devant les pointilleries des publicistes, est-ce bien à ceux qui nous rappellent sans cesse à de vieux textes, à de vieux titres, à de belles phrases, à des autorités de discours et d'insinua- tions; est-ce bien à ceux qui nous ont journelle- ment fait dire ce que nous ne voulions pas dire, répondre ce que nous ne pouvions pas répondre, à nous reprocher de peser les mots ? Nous n'a-