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conférer avec les commissaires des autres ordres, il a été proposé de prendre cet objet en considération ; et la matière mise en délibération, il a été arrêté, à la pluralité de 173 voix, de nommer, dès à présent, des commissaires pour se concerter avec les deux autres ordres.

Collationné conforme à la minute.

Signé : LE CARPENTIER DE CHAILLOUET, secrétaire de l’ordre de la noblesse.

La députation se retire.

M. de Mirabeau. N’est-ce pas une grâce que MM. de la noblesse accordent aux autres ordres, lorsqu’ils nomment des commissaires pour se concerter avec eux ? Puisqu’ils ont eu le droit de se refuser à l’ajournement ordonné par le Roi ; de vérifier leurs pouvoirs séparément ; de se constituer en Chambre, sans le consentement des autres ordres, qui les empêche d’aller en avant, de faire une constitution, de régler les finances, de promulguer des lois ? Les nobles ne sont-ils pas tout en France ? Qu’est-ce qu’une corporation de vingt-quatre millions d’individus ? Cela vaut-il la peine d’être compté pour quelque chose ? Je ne sais à quoi pensent nos écrivains politiques, lorsqu’ils nous disent que c’est là la nation, comme si les nobles n’étaient pas la nation par excellence. S’ils veulent bien admettre en tiers les vingt-quatre millions d’individus non nobles, c’est de leur part un généreux sacrifice, purement volontaire, et que personne n’a le droit d’exiger ; demandez plutôt à M. l’évêque de Nancy (de La Fare).

La députation de la noblesse est bientôt suivie d’une députation du clergé composée de six membres à la tête de laquelle se trouvent les évêques d’Orange (Dutillet) et de Lydda (Gobel).

M. Gobel, évêque de Lydda, portant la parole, a remis sur le bureau les deux arrêtés suivants :

1o Sur la proposition qui a été faite par MM. les députés de l’ordre du tiers de se réunir en commun pour faire la vérification des pouvoirs, les membres du clergé assemblés ont chargé leurs députés de témoigner à MM. du tiers-état le zèle et l’attachement dont ils sont pénétrés pour eux, et le désir de concourir à la plus parfaite harmonie entre les ordres ; et qu’en conséquence ils sont convenus de nommer des commissaires et d’inviter les deux autres ordres à en nommer pareillement, à l’effet de conférer ensemble et de se concerter sur la proposition faite par MM. les députés de l’ordre du tiers-état.

2o Les membres du clergé assemblés ont l’honneur de prévenir MM. de l’ordre du tiers-état que, conformément à la résolution prise le 7 mai, ils ont nommé huit commissaires, prêts à se réunir à ceux de la noblesse et du tiers-état, pour prendre sans délai les moyens les plus propres à faire régner entre les ordres la plus parfaite harmonie.

M. Rabaud de Saint-Étienne. Je propose de nommer un certain nombre de personnes auxquelles il sera permis de conférer avec les commissaires nommés par MM. les ecclésiastiques et les nobles, pour réunir tous les députés dans la salle nationale, sans pouvoir jamais se départir des principes de l’opinion par tête et de l’indivisibilité des États généraux.

M. Chapelier. Je propose d’adopter et faire notifier au clergé et à la noblesse la déclaration suivante :

Les députés des communes de France, en vertu de la convocation du Roi, de l’annonce faite par M. le garde des sceaux au nom de Sa Majesté et de la publication des hérauts d’armes, s’étant rendus le 6 mai dans la salle des États où ils n’ont point trouvé les députés de l’église et de la noblesse, ont appris avec étonnement que les députés de ces deux classes de citoyens, au lieu de s’unir avec les représentants des communes, se sont retirés dans des appartements particuliers ; ils les ont vainement attendus pendant plusieurs heures et tous les jours suivants.

Quelques-uns des députés des communes s’étant fait instruire du lieu où étaient les députés de l’église et de la noblesse, ont été leur représenter que par leur retardement à se rendre dans la salle générale ils suspendaient toutes les opérations que le peuple français attend des dépositaires de sa confiance ; que les communes ont vu avec regret que les députés de l’église et de la noblesse n’ont pas encore déféré à cet avertissement ; que le clergé et la noblesse ont envoyé des députations au corps national auquel ils devaient se réunir, et sans lequel ils ne peuvent faire rien de légal, qu’ils ont nommé des commissaires pour aviser avec d’autres et délibérer entre eux ; que les représentants du peuple ne doivent pas s’abandonner à des moyens conciliatoires qui ne peuvent être discutés et délibérés qu’en commun dans l’Assemblée des États généraux ; que la noblesse a ouvert un registre particulier, pris des délibérations, vérifié des pouvoirs, établi des systèmes ; que cette vérification partielle ne suffisait pas pour constater la régularité des procurations.

Les députés des communes déclarent qu’ils ne reconnaîtront pour représentants légaux que ceux dont les pouvoirs auront été examinés par des commissaires nommés dans l’Assemblée générale par tous ceux appelés à la composer, parce qu’il importe au corps de la nation comme aux corps privilégias, de connaître et de juger la validité des procurations des députés qui se présentent, chaque député appartenant à l’Assemblée générale, et ne pouvant recevoir que d’elle seule la sanction qui le constitue membre des États généraux ; que l’esprit public étant le premier besoin de l’Assemblée nationale, et la délibération commune pouvant seule l’établir, ils ne consentiront pas que, par des arrêtés particuliers des Chambres séparées, on porte atteinte au grand principe ; qu’un député n’est plus, après l’ouverture des États généraux, le député d’un ordre ou d’une province, mais qu’il est le représentant de la nation ; principe qui doit être accueilli avec enthousiasme par les députés des classes privilégiées, puisqu’il agrandit leurs fonctions.

Les députés des communes invitent donc et interpellent les députés de l’église et de la noblesse à se réunir dans la salle des États où ils sont attendus depuis huit jours, et à se former en États généraux pour vérifier les pouvoirs de tous les représentants de la nation. Ils invitent ceux qui ont reçu l’ordre spécial de délibérer en commun, et ceux qui, libres de suivre cette patriotique opinion, l’ont déjà manifestée, à donner l’exemple à leurs collègues et à venir prendre la place qui leur est destinée ; c’est dans cette réunion de tous les sentiments, de toutes les opinions que sont fixés sur les principes de la raison et de l’équité les droits de tous les citoyens. Il en coûte à tous les députés des communes de penser que depuis