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Ceux qui assujettis par leurs mandats à délibérer par ordre, ceux même qui sont autorisés à soutenir cette forme de délibération, mais à qui il est permis de céder et de se soumettre à cet égard à la pluralité de vos suffrages, ont craint que ce préliminaire ne préjugeât la question des délibérations par ordre et par tête ; ceux-là me semblent avoir été autorisés à se maintenir dans cette croyance par plusieurs raisons. Avant de les développer, je m’empresse de dire que je suis loin de blâmer ceux qui ayant les mêmes mandats n’ont pas cru que cette vérification commune y portât la plus légère atteinte. En ces matières abstraites, la vérité n’apparaît pas à tous sous les mêmes rapports, et la seule qui se montre très-clairement à moi, c’est que les vertus, les principes et la probité reconnue de ceux qui, en nous annonçant que la volonté de leurs commettants était d’opiner par ordre, ont néanmoins conclu à la vérification commune, nous sont le gage assuré que, dans ces sortes de discussions, la vérité et les principes ont plusieurs nuances et des aspects différents ; mais ceux qui, dans la vérification des pouvoirs faite en commun, ont cru voir un acheminement au délibéré par tête, se sont fondés :

« 1o Sur l’usage constant établi aux États généraux de 1560, 1576, 1588 et 1614, de procéder à cette vérification par ordre ;

« 2o Sur ce que, dans ces précédents États, chaque ordre agissant indépendamment les uns des autres et leur sanction mutuelle formant la loi, il paraissait que chaque ordre devait s’assurer respectivement des pouvoirs de ses membres et tenir, pour légitimement députés de chaque ordre, chacun de ceux qui étaient généralement reconnus dans leur ordre ;

« 3o Sur ce que, si les délibérés par tête étaient un jour adoptés, dès lors la vérification commune devenait indispensable ; mais par cette même raison, chaque ordre étant séparé, il fallait conserver les formes établies dans chaque ordre, jusqu’à ce qu’elles fussent proscrites, et l’usage des délibérations par ordre anéanti par l’établissement du délibéré par tête. »

Enfin, Messieurs, il a paru à ceux qu’un mandat positif oblige à conserver l’ordre ancien des délibérations, que cette innovation dans la délibération des pouvoirs en commun semblait préparer à celle qu’il est question de décider sur la manière de délibérer.

Ceux qui ont envisagé la motion sous cet aspect ont eu raison de réclamer l’ordre accoutumé des vérifications partielles.

Ils ont eu d’autant plus de raison, qu’ils ont cru qu’il était digne de la majesté des États généraux de ne jamais surmonter de grandes difficultés, en s’y préparant par des subtilités qui pourraient ensuite servir de préjugés au jugement de ces grandes questions.

Qu’avons-nous donc fait en cette occurrence ? Nous avons jugé que la Chambre étant incomplète, nulle délibération qui tendrait à détruire les lois ou les usages ne pourrait y être sanctionnée.

Dès lors qu’il ne nous était pas permis de sanctionner aucune délibération, les précédentes lois des États généraux devaient être nos seuls guides, jusqu’à ce que la Chambre, dans son intégrité, pût les changer ou les abolir ; dès ce moment, toutes nos démarches n’ont été que provisoires : nomination du président, du secrétaire et de ses évangélistes.

Cependant, afin de ne pas perdre un temps précieux, et de nous reconnaître entre nous, nous avons procédé à une vérification de pouvoirs suivant les formes des précédents États généraux. Pouvions-nous les changer sans que la Chambre fût complète ? Les changer était établir un nouvel ordre de choses ; mais pour établir un nouvel ordre de choses, il faut un décret ; et pouviez -vous en rendre, vous étant reconnus incomplets et incompétents, pour altérer les anciens usages ?

Votre conduite a donc été également mesurée et légale. Elle n’a rien préjugé, elle ne nuit à rien : elle a laissé dans leur intégrité toutes les grandes questions et a seulement montré votre respect pour les formes anciennes, qui sont les seules que la loi autorise, jusqu’à ce qu’elles aient été légalement abolies.

Cette grande question sur le mode des délibérations est encore entière et telle qu’elle doit être présentée dans cette auguste Assemblée. Si elle se décide à voter par tête, dès lors on pourra, s’il le faut, procéder à des vérifications communes.

Si elle veut maintenir la séparation des ordres, l’usage des vérifications partielles, la légitimité des députés de l’ordre pourra encore être maintenue, ou enfin il sera possible de la changer en une vérification commune, sans préjuger une question qui sera déjà décidée.

Maintenant les communes invitent la Chambre de la noblesse à se réunir dans la môme salle avec les deux autres ordres de l’État, pour procéder à la vérification des pouvoirs.

Messieurs, la franchise et l’exposé de tous nos sentiments doit être l’unique politique des ordres et de la nation.

Ainsi il me paraît qu’il serait digne des sentiments de cette Chambre d’autoriser nos douze commissaires à faire part de leur travail aux communes, en les instruisant des motifs qui nous ont empêchés de procéder à une vérification commune ; de leur offrir de reconnaître comme légitimes députés des communes tous ceux qu’elles reconnaîtront elles-mêmes dans leur ordre ; de faire la même offre au clergé, et de demander la réciprocité pour nous-mêmes, jusqu’à ce que la délibération par ordre ou par tête ayant été ou proscrite ou admise, cette nouvelle forme en nécessitant d’autres dans la vérification des pouvoirs, nous établissions à cet égard de nouveaux usages.

Qu’il me soit permis, Messieurs, de vous exposer qu’en attendant que notre Chambre soit complète et que nous puissions procéder à des délibérations essentielles, et rendre des décrets durables, il est un travail préliminaire qui devrait nous occuper.

Quand la délibération sera terminée, je prie M. le président de proposer à la Chambre de délibérer qu’il soit nommé des commissaires, à l’effet de procéder au projet de règlement et de police pour la Chambre,

1o Pour régler les droits du président ; 2o Ceux des secrétaires ; 3o L’ordre rigoureux que la Chambre veut qui soit maintenu, lors des délibérations.

Sans des règles sévères à cet égard il ne régnera dans la Chambre que confusion et tyrannie.

Aucun de nous n’est venu ici pour plaire à tel ou tel parti, pour suivre telle ou telle bannière et s’asservir à l’opinion de qui que ce puisse être. Nous n’y sommes pas même venus pour y porter nos opinions, mais celles de nos commettants,