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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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les Hollandais y pourraient mettre ne nous saurait incommoder, joint que cela obligera nos marchands à entreprendre le voyage des Indes, aussi bien que les Hollandais.

« Messieurs, prenez occasion sur ce sujet de représenter au roi qu’il est obligé, pour la grandeur et la réputation de son État, de rétablir le commerce. À cela, il y a deux choses à faire. Premièrement, à purger cette vermine d’officiers qui volent tout le monde ; ils ont été créés pour la sûreté du commerce, et néanmoins ils ne servent véritablement qu’à piller les marchands et à décrier nos ports. Deux commissaires envoyés sur les lieux, avec pouvoir de faire et parfaire le procès à ces gens-là, suffiront pour y remédier.

« Outre, il faut instituer un ordre général pour la navigation. N’est-ce pas une honte, qu’en trois cents lieues de côtes, il ne se trouvera pas vingt vaisseaux français ; et néanmoins, s’il vous plaît d’y mettre la main, nous serons en peu de temps maîtres de la mer, et ferons la loi à ces insulaires, qui usurpent ce titre. Nous avons, sans comparaison, plus de havres qu’eux, plus de bois et meilleur qu’eux pour bâtir des navires, plus de matelots, témoins qu’ils ne se servent en leurs voyages que de nos Biscayens, ou de nos Bretons ou Normands. Les toiles, les cordes, les cidres, les vins, les chairs salées, équipages nécessaires, se prennent sur nos terres.

« Il ne reste plus que de donner la forme à ce dessein ; la matière n’est que trop ample. En voici un projet, servez-vous-en, si vous n’en trouvez point de meilleur ; il ne m’importe pas, pourvu que la chose se fasse, et que le public y profite. Que le roi, par édit, ordonne qu’en chacune ville capitale de ses provinces, les marchands feront une compagnie pour la navigation, sur le modèle d’Amsterdam, et équiperont certain nombre de vaisseaux dans les ports les plus proches et les plus commodes ; et pour les inciter davantage, qu’on leur accorde de grands priviléges, comme, entre autres, qu’on rabatte le dixième des impositions aux navires français qui entreront et sortiront sans fraude de nos ports, et qu’il soit défendu, à peine de confiscation de corps et de biens, à nos mariniers, d’aller servir les étrangers.

« En peu de temps vous ferez une flotte innombrable, et couvrirez la mer de voiles, et vous emploierez quantité de jeunes novices qui demeurent inutiles et qui s’abâtardissent.

« Le sel et les aides sont encore deux rudes charges ; la première, bien plus grande que la seconde, parce qu’il est bien plus aisé de se passer d’aller à la taverne que de manger du sel, aliment nécessaire ; néanmoins je ne crois pas que vous en deviez pour cette heure demander l’extinction ou la diminution : il suffira que le roi relâche les tailles, fardeau presque insupportable, jusqu’à ce qu’ayant racheté tout son domaine, Dieu lui ouvrira les moyens pour rendre la liberté à la France.

« De tous les ménages du temps passé, je n’en ai approuvé qu’un seul. Cet or amoncelé dans la Bastille ne m’a jamais été d’un bon augure. Le vrai trésor d’un bon roi est dans le cœur et dans la bourse de ses sujets. J’ai condamné cette conversion des octrois extraordinaires et à temps en recette ordinaire ; outre que c’était prostituer la foi du prince qui doit être inviolable, c’était ôter le moyen de servir l’État à l’extrémité. Le seul ménage donc que j’ai estimé, était le rachat du domaine en seize années de jouissance, et cependant c’est celui qu’on aura renversé : Dieu le pardonne à ceux qui en sont coupables ! Remettez-donc, s’il est possible, sur pied ces partis, et qu’ils soient exécutés sans exception de personne du monde. Le domaine du roi s’appelle sacré, parce que véritablement on ne peut y mettre la main sans sacrilége.

« En général, rejetez avec honte ceux qui vous proposeront des expédients pour augmenter la recette des finances ; le peuple n’est que trop chargé, et, au contraire, recueillez à bras ouverts les avis qui vont à diminuer la dépense, soit par retranchements légitimes, soit par bon ménage. C’est ce seul moyen qui reste pour soulager le royaume.

« Messieurs, voici le dernier de nos maux et plus agité en cette saison : la mangerie aux officiers. Nous avons déjà parlé de ceux de finance ; reste à parler de ceux de justice.

« Ce mal a plusieurs racines ; il les faut toujours suivre exactement ; il y a la dispense de quarante jours, qui rend les offices comme héréditaires, la vénalité, qui les met en commerce, et le gain ordinaire qui est toléré, qui les enrichit. Il serait à désirer qu’on pût guérir ces trois maladies tout d’un coup ; mais il est bien mal aisé ; tant de gens et si puissants dans l’État sont intéressés, que je craindrais que le remède ne fût pire que le mal. Il faut donc y aller à pied et insensiblement.

« La valeur excessive des offices est le fondement de ce désordre. Il y en a pour cent millions d’or et plus en France : le seul moyen qu’on a de le saper, c’est d’en ôter les épices et les émoluments ; d’une pierre vous frapperez deux coups : vous ferez ramender les offices et soulagerez grandement le peuple, qui n’a pas tant d’intérêt à la vénalité ou à la paulette comme à l’oppression qu’il sent, à cause des exactions de plusieurs officiers de justice.

« Outre que cet expédient sera utile au public, avantageux et honorable pour le roi, il sera très-bien reçu de robe longue. En ce métier-là, tout le monde fait profession d’honneur, tellement que ceux qui seront avaricieux entre eux, loue-