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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

bres : ces ordres sont bons dans les armées, et utiles dans les places durant la paix.

« Ce n’est pas sans raison que je dis que vous apportiez votre jugement, pour faire différence des places qui méritent garnison, parce qu’il y a une infinité de châteaux dans le cœur du royaume, qu’on devrait avoir rasés et démolis il y a longtemps. Tout le revenu du domaine s’emploie à les réparer, ou à l’entretenement des capitaines qui sont dedans, ou des mortes-payes ; et ce ne sont que des nids à voleurs aux moindres mouvements. Le roi a commencé par Pierre-Font : faites qu’il continue.

« Voilà en gros la dépense qu’on peut retrancher : ajoutez-y le bon ménage, et empêchez qu’il ne soit dérobé comme il est par tous ceux qui manient son argent ; et la France ne vous aura pas peu d’obligation ; je sais bien que ce n’est pas un petit ouvrage, mais doit-il y avoir quelque chose d’impossible à cette assemblée, où tous les plus grands esprits de cette monarchie ont été convoqués ? Voulez-vous que je vous ouvre un expédient ? Ne le condamnez pas pour être un peu rude : tout grand exemple a je ne sais quoi d’injuste qui se récompense par l’utilité que le public en reçoit ; et les ulcères invétérés ne peuvent guérir que par des remèdes violents. Donnez avis au roi qu’il supprime tous les officiers de finances, à condition notamment de leur payer la rente de ce qu’ils montreront avoir actuellement porté dans ses coffres ; réservez un trésorier de France ès généralités où il y en avait il y a trente ou quarante ans, et un trésorier de l’épargne.

« Les peuples, d’eux-mêmes, porteront à l’épargne, sans frais et sans diminution, ce qu’on leur demandera, comme on a vu le Languedoc, la Guyenne et la Bretagne le faire souvent ; et ces derniers, pour n’être pas exigés par des loups impitoyables, ne marqueront pas moins la puissance du roi, et témoigneront beaucoup de bonne volonté et l’amour des sujets.

« Toutes ces dépenses inutiles étant retranchées, il sera aisé de diminuer une partie des tailles ; encore trouverez-vous que le roi en aura beaucoup plus de quitte qu’il n’a. Le surplus, il le faut rejeter sur ce qui entre ou sort du royaume, afin que les étrangers seuls supportent la dépense ; et voilà l’expédient que je vous avais promis. Je vous veux faire voir par démonstration, que ce que je vous dis est infaillible.

« Premièrement, nous demeurons tous d’accord que la France a ce bonheur, qu’elle se peut aisément passer de ses voisins ; ses voisins ne se peuvent passer d’elle. L’Espagne n’a point de blé ; celui qui peut venir de Dantzick ne vaut rien, outre qu’il est presque tout pourri lorsqu’il arrive en ses ports, à cause de la longueur du chemin. Tout le septentrion n’a point de vin ; nos sels, nos pastels, nos toiles, nos cordes, nos cidres vont par tout le monde et ne se cueillent en abondance que parmi nous. On peut hardiment hausser, sans rien craindre, le péage à tel point qu’il plaira au roi. La nécessité les obligera de passer par nos mains : en voulez-vous un exemple qui n’a point de contredit ? Il y a trentre années ou environ que le tonneau de vin valait 60 et 80 écus à Bordeaux ; les Anglais, les Écossais, les Hollandais l’enlevaient tous à ce prix-là ; maintenant, il ne vaut plus que 15 ou 16 écus : quelle raison y a-t-il de leur souffrir ce gain à notre dommage ? Oui, mais aussi, de leur côté, ils nous renchériront les marchandises qu’ils nous débitent : examinez-en, s’il vous plaît, la qualité ; et puis vous jugerez l’importance que ce nous peut être. Il ne nous vient point d’argent d’Angleterre pour tout ; ceux qui se sont trouvés à Bordeaux ès temps des foires peuvent rendre ce témoignage. Ils portent des draps, des serges, quelque peu de plomb et d’étain ; et avec cela ils enlèvent nos denrées. Les Hollandais nous fournissent en partie de sucre, de drogues et d’épiceries ; les soies nous viennent du Levant ; l’Allemagne nous fournit de chevaux ; l’Italie de manufactures. Toutes ces choses sont si peu nécessaires, qu’il serait à propos que l’entrée en fût absolument défendue.

« Pourquoi faut-il que Milan, Lucques, Gênes et Florence nous vendent si cher leurs draps de soie et toiles d’or et d’argent, qui ne vont qu’au luxe, et par conséquent à la ruine de l’État ? La seule ville de Paris en consomme plus que toute l’Espagne entière. Le roi Henri III fut le premier qui porta un bas de soie aux noces de sa sœur ; maintenant, il n’y a point de petit valet qui ne se sentît déshonoré d’en porter un de serge ; et voilà où s’en va tout l’argent monnayé de France. Marseille ne fait point de plus grand commerce que celui-là ; quel danger y a-t-il donc qu’ils nous enchérissent leurs marchandises ! Nous apprendrons peut-être par ce moyen à nous vêtir de nos laines et nous servir de nos draps.

« Qu’on défende ce nombre infini de carrosses, qui étonne les murailles de toutes les villes de France, et notamment de Paris ; et puis vous n’aurez plus que faire de chevaux d’Allemagne, qui ne servent qu’à cela ; et afin qu’absolument on se puisse passer d’eux, qu’il plaise au roi ordonner qu’en tous les prieurés et toutes les abbayes de France, il y ait un haras, plus grand ou plus petit, suivant la commodité des lieux et le département, qui, à ces fins, sera fait par les lieutenants généraux des provinces. Jusqu’ici on a eu si peu de soin du public, que le Français n’a jamais appris de se servir des avantages que Dieu lui a donnés par-dessus toutes les nations du monde.

« Quand au sucre, épiceries et drogueries, pour le peu qu’il en faut en France, la cherté que