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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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« Or, il n’y a rien qui portera plus volontiers et les grands et les petits à cette réformation, sinon l’exemple que Messieurs de vos finances en donneront, montrant les premiers le chemin que chacun doit tenir pour se réduire à une honnête médiocrité.

« Car celui qui veut imposer une règle à autrui, et à lui faire goûter, en doit le premier tenir la mesure ; et puis dire hardiment : Sire, que, si Messieurs de votre conseil (qui doivent être comme les lumières de votre cour, éclairées sans cesse du soleil de votre autorité, voire les premières roues qui font mouvoir votre État) ne se disposent, de leur part, à faire agir les autres selon les règles de vos ordonnances, il n’y a ni juge, ni magistrats, voire compagnie souveraine, qui puisse ajuster la balance que Messieurs de votre conseil tiendront avec faveur et inégalité.

« Je poursuivrai, Sire, mon discours, pour ne point oublier à parler de l’excès des taxes et cahiers de frais de vos trésoriers et comptables, lesquels ne voudraient pas cheminer, même prendre la plume ou le jeton, sans se faire payer de leur peine par Votre Majesté, tant ces personnes-là sont attachées au gain. Aussi on les voit devenir riches et opulents en peu d’années : ce sont eux qui prennent la crème de vos finances, se partageant les premiers, sous prétexte de taxations, lesquelles ils ont achetées à vil prix ; de sorte qu’ils se trouvent bien souvent être remboursés en deux ou trois années de l’argent qu’ils ont financé dans vos coffres, sur lequel encore ils ont glané quelque don passé dans un comptant, par la faveur et intelligence de leurs bons amis.

« Que, si par bon ménage, votre chambre s’efforce de réduire leurs déclarations et cahiers de frais, ils crient, ils se plaignent et publient que la foi publique est violée, que les édits de leur attribution (qui ont été vérifiés par force ou par pratique) sont pour eux, que ce sont les titres de leurs prétentions, obtiennent des lettres de rétablissement et des jussions sans nombre.

« À ce désordre des cahiers de frais excessifs des comptables, l’on peut ajouter celui des clercs et commis des intendants de vos finances, lesquels gratifient les domestiques les uns des autres comme bon leur semble ; et, au lieu d’avoir l’œil à l’accélération des affaires de Votre Majesté selon le dû de leurs charges, ils s’en reposent sur un prétendu solliciteur des affaires de votre conseil aux gages de douze cents écus, qui est un appointement aussi peu considérable que la qualité.

« L’on en peut dire autant de celle du contrôleur des restes des états et des fermes de Votre Majesté, attribuée à un seul des intendants, quoique chacun d’eux dût faire cette chargea mesure qu’il vérifie l’état qui lui est baillé.

« Bref, comme ils se déchargent volontiers de peine aux dépens de Votre Majesté, ainsi vos comptables ne demandent qu’à faire naître de nouveaux prétextes de travail, afin d’avoir sujet de prétendre de nouveaux profits.

« Sire, le feu roi votre père, de très-glorieuse mémoire, a été de son temps un César pour avoir, en moins d’années que lui, reconquis et subjugué la France, qui était son propre héritage. Ses grands exploits ont été sur terre, mais ceux de Pompée, surnommé le Grand, furent sur la mer, lorsqu’il la purgea des corsaires qui l’infestaient.

« Soyez, Sire, un César en valeur et en clémence tout ensemble, dedans les belles campagnes et pourpris de la justice. Soyez aussi un Pompée sur la mer de vos finances, lesquelles vous purgerez (s’il vous plaît) de tous ces pirates qui courent en plein jour et à voiles déployées butiner vos revenus.

« Ce faisant, Sire, Votre Majesté épargnera en de grandes sommes de deniers, pour remplacer ceux qui ont été épuisés depuis tant d’années ; tantôt en vertu des lettres patentes de Votre Majesté, vérifiées en votre chambre, tantôt de votre puissance absolue et selon leur vérification.

« Mais, Sire, qui pourrait croire qu’une partie des deniers que Votre Majesté doit avoir touchés en suite de tant d’édits vérifiés en votre chambre, que l’on nous disait être destinés aux affaires de la guerre et non ailleurs, eût été employée à payer des pensions ?

« Et toutefois nous en avons vu la dépense dedans le compte de votre épargne, et non sans étonnement.

« Car la plupart des pensions qui se payent à présent ont été accordées ou augmentées par Votre Majesté lors de son avénement à la couronne, en un temps calme et paisible ; votre royaume étant abondant en toutes sortes de biens et de commodités, et vos coffres si remplis d’argent monnayé, que le commerce commençait à cesser faute d’espèces courantes entre les mains de vos sujets.

« Aussi ce fut une grande prudence à Votre Majesté de retenir la noblesse avec les princes à votre suite, pour obvier aux factions (compagne ordinaire de l’oisiveté) et aux assemblées qui se font souvent dans les provinces, comme les nuées et la moyenne région de l’air, lorsqu’elles sont éloignées des rayons du soleil.

« Toutefois, Sire, vos libéralités et bienfaits ne sauraient être mieux employés qu’à votre noblesse, puisqu’elle a l’honneur de porter les armes et d’exposer courageusement sa vie pour le service de Votre Majesté et la manutention de sa grandeur, dans laquelle repose la paix et la tranquillité de son État ; de sorte qu’elle achète au prix de son sang l’argent que vous lui donnez, pour en dépenser deux fois autant de son patrimoine, et laisser bien souvent ses enfants nécessiteux.