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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

pirates qui vous enlèvent les plus clairs deniers de vos revenus, avant qu’ils soient arrivés au port auquel ils doivent être conduits et voiturés.

« Ce sont ceux que l’on appelle faiseurs de partis, qui, pour un petit secours de deniers, tiré bien souvent de vos coffres et non des leurs, se font adjuger le revenu de vos recettes et le prix de vos fermes avant que les termes en soient échus.

« Cela n’est-ce pas moissonner le fruit avant qu’il soit en sa maturité, et observer le temps de votre nécessité pour sucer le sang de votre pauvre peuple, avant qu’il ait eu le loisir de le tirer de ses veines pour en servir Votre Majesté ?

« Encore seraient-ils aucunement supportables, s’ils vous faisaient autant de part du gain excessif qu’ils font en leur parti, comme ils en rejettent sur vos coffres la perte imaginaire, laquelle néanmoins engendre ces dédommagements dont toute la France parle avec une juste plainte et indignation.

« Car pourquoi donnent-ils des pots-de-vin pour être préférés au bail des fermes de Votre Majesté, s’ils ne veulent prendre le risque de l’événement des bonnes et des mauvaises années ?

« Mais, Sire, pour en parler franchement et avec vérité, les pots-de-viu se donnent pour enrichir les courtiers et les amis des fermiers qui se présentent au bail de vos fermes ; et les dédommagements sont accordés en faveur des partisans et de ceux qui les protégent, aux dépens de Votre Majesté.

« Ainsi, l’on butine sur vous, autant à la fin comme au commencement des affaires qui se traitent sous l’apparence de votre utilité ; mais le pis est que les conditions de tels traités sont déguisées aux officiers de votre Chambre, auxquels néanmoins on les adresse pour les vérifier, et par conséquent les rendre responsables du péché duquel ils sont innocents.

« Mais, Sire, la considération des guerres intestines, de la misère de votre pauvre peuple, et de votre nécessité (qu’on leur a toujours mis devant les yeux pour un prétexte fort spécieux) leur a été sensible, que d’ardeur qu’ils ont eue de voir la paix en votre royaume, et l’autorité de Votre Majesté rétablie en icelui, ils ont plutôt embrassé les moyens que l’on apportait pour parvenir à une si bonne œuvre, qu’ils n’ont eu de curiosité à les examiner.

« À présent, Sire, qu’il a plu à Dieu de calmer tous les orages et la tempête qui menaçaient la France d’un naufrage, et vous inspirer de jeter les yeux sur vos affaires, et prêter l’oreille à de meilleurs conseils, nous ne vous parlerons point des dons que vous faites ouvertement à vos serviteurs pour récompenses de leur mérite ; car cela est digne de Votre Grandeur, joint qu’ils sont sujets à la vérification de votre Chambre ; de sorte que, comme la grâce en est due à Votre Majesté, qui en est la source, aussi l’excès nous en doit être imputé, puisque votre bonté nous donne le pouvoir de les retrancher.

« Mais, Sire, je dirai un mot, avec votre permission, des états, gages et appointements qui ont été doublés et triplés depuis le décès du feu roi, votre père, de très-heureuse mémoire.

« Ce grand prince avait réglé ses affaires avec une telle prudence et égalité, que chacun se contentait de la condition à laquelle il l’avait réduit. Celui qui recevait peu de sa main libérale, se tenait plus heureux et plus obligé du jugement qu’un si grand monarque ferait de son mérite, que de la récompense qu’il touchait de ses services.

« De sorte que le prix de la vertu ne consistait pas en argent, mais en l’estime qu’en faisait le plus vertueux prince de son siècle.

« Depuis son décès, Sire, et durant votre minorité, chacun n’a pensé qu’à se rendre nécessaire par des ombrages de mécontentement, et mettant en oubli la charité que tout homme de bien doit avoir envers sa patrie, sans considération de ses intérêts, a commencé de postposer le public au particulier et demander augmentation des gages et d’appointements, si que l’un, servant d’exemple à plusieurs, enfin quasi tous, ou par faveur, ou par importunité, ont rendu ordinaire ce qui n’avait jamais eu lieu de mémoire des hommes.

« Mais, Sire, comme il y a des saisons en l’année, ès quelles les eaux qui avaient été débordées durant l’hiver, retournent aisément à leur ancien canal, tantôt par l’industrie des hommes, qui tranchent et remparent puissamment contre l’inondation, tantôt par la faveur du ciel, qui, par un doux printemps, dessèche les terres abreuvées : aussi nous voyant, par la grâce et bonté divine, être arrivés à la plus douce saison de votre règne (car depuis la mort du feu roi nous avons vécu en un continuel hiver et débordement) ; il est temps désormais, Sire, de trancher et remparer sous votre main puissante contre l’avarice et l’ambition qui nous ont pensé submerger, et forcer constamment les désirs insatiables de vos sujets de retourner à leur ancienne frugalité, et se contenter des gages et appointements que le feu roi votre père leur avait prescrit ès états de finances.

« C’est là, Sire, ce lit et le sein de vos grâces et bienfaits, auquel chacun se doit renfermer, sans vouloir outre-passer les bornes que le feu roi avait si saintement établies de son vivant.

« Cette retraite dedans le canal de ses lois et ordonnances qu’il vous plaira renouveler rendra les campagnes riches et plantureuses ; c’est-à-dire votre peuple soulagé de l’excès des taxes et impositions qu’il a supportées durant le torrent des guerres civiles, et réglera le désir démesuré que plusieurs ont eu d’enrichir leurs familles de la substance de vos sujets.