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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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tuelle quant à la durée du fruit qu’elle produira. Peu de paroles et beaucoup d’effets témoigneront, et les bonnes intentions, et les jugements de ceux dont elle est composée.

« Le roi ne doute point, Messieurs, que vous ne fassiez tout ce qui est de votre devoir en cette occurrence. Vous reconnaîtrez aussi, par l’événement, que Sa Majesté se surpassera elle-même pour procurer le bien de son État. La gloire de le faire renaître de nouveau est réservée à la vertu d’un si grand prince : vous devez beaucoup à sa bonté de ce qu’elle a voulu vous y donner part ; et je me sentirais très-particulièrement redevable à Dieu, en cette occasion, s’il me prenait incontinent après l’accomplissement d’un si haut, si glorieux et si saint dessein. »

Après que M. le cardinal eut fini, messire Nicolas de Verdun, premier président du Parlement de Paris, se leva et prit la parole. Il parla du feu roi Henri le Grand, et que le roi son fils l’imitait en ses vertus ; il supplia que cette assemblée ne fût point morte, ni muette comme les autres ; puis il finit priant Dieu qu’il donnât lignée au roi.

M. le garde des sceaux ajouta que puis après, Sa Majesté enverrait ses propositions à l’assemblée par son procureur général au Parlement de Paris.

Les ducs de Guise, de Nemours et de Bellegarde étaient dénommés et mandés pour se rendre et se trouver à ladite assemblée ; mais nul d’eux ne s’y trouva. Les deux premiers, à ce que l’on a écrit, pour n’être pas d’accord entre eux de leurs rangs ; ce fut pourquoi, en cette assemblée, il n’y eut aucun prince, ni duc pair de France. Pour tout le reste, l’ordre y fut très-bon et sans aucune confusion. Cette cérémonie commença entre midi et une heure, et finit après trois heures.

Dès le commencement de cette assemblée, il se vit plusieurs remontrances, discours et mémoires imprimés, pour avis au roi et à ladite assemblée, afin d’apporter de bons règlements aux désordres qui s’étaient introduits en la justice, aux finances et en la police.

Cette suivante remontrance, sur le fait de l’épargne, fut estimée partir de celui (M. de Nicolaï) de qui les pères et lui ont, comme successivement un siècle entier, servi fidèlement et utilement nos rois en la qualité de premiers chefs de sa première chambre des Comptes :

« Sire, deux choses les plus puissantes sur les esprits des hommes ont porté les gens de vos comptes à nous députer vers Votre Majesté : l’une est la considération de l’honneur et obéissance que tous vos officiers doivent rendre à vos commandements ; l’autre est le vif ressentiment que chacun d’eux doit avoir en son âme de son devoir envers son prince, en la charge dont il lui a plu l’honorer.

« Sire, autrefois cette compagnie ayant l’honneur de saluer Votre Majesté, elle lui fit entendre qu’elle voulait prendre en main le gouvernement des affaires de son État, et lui commanda de ne s’adresser à autre qu’à sa seule personne pour lui donner compte de ses actions.

« Depuis ce temps, Sire, outre plusieurs affaires importantes au bien de votre service, auxquelles nous nous sommes employés, nous avons ouï le rapport du compte de votre épargne (qui est la grande mer de vos finances), où nous avons aperçu tant de gouffres profonds, tant de routes égarées et périlleuses à votre État, que nous penserions manquer à notre devoir et à votre commandement, si avant la fin de ce semestre, nous ne lui faisons entendre une fidèle relation des rencontres que nous avons fait sur cet océan durant le temps de navigation.

« Sire, les poëtes ont feint qu’il y avait en certains endroits de la mer Méditerranée, des gouffres et des bouillons d’eau, qu’ils appelaient caribdes, lesquels engloutissaient les vaisseaux tout à coup, en sorte qu’il n’en restait non plus de marque ni d’apparence que si jamais ils n’eussent été sur mer.

« L’on peut dire de semblable de la mer de votre épargne, en laquelle il y a certains chapitres de dépense, intitulés constans en vos mains, lesquels absorbent les plus clairs deniers de vos finances ; et bien qu’il semble que Votre Majesté les ait touchés, toutefois la vérité est qu’ils ont été dévorés par des caribdes, c’est-à-dire par des gens insatiables, et qui publient bien souvent n’avoir reçu aucun bienfait de Votre Majesté, jaçoit que le tout soit tourné à leur profit.

« Ainsi, le souvenir de vos libéralités en leur endroit étant du tout éteint en leur mémoire, ils prennent de faux prétextes de mécontentement pour se porter plus hardiment à la désobéissance et bien souvent à la rébellion.

« Cet usage de constans, Sire, ne sert pas seulement de voile pour couvrir l’ingratitude des donataires, qui ne veulent pas être réputés du nombre de ceux qu’il vous a plu d’obliger ; mais il aide aussi à déguiser les usures de plusieurs qui prêtent de l’argent à Votre Majesté, à si gros intérêt, qu’ils rougiraient de honte de le confesser.

« Tellement que votre nom très-auguste que les anciens avaient toujours en bouche, quand ils voulaient affirmer quelques vérités, est employé maintenant pour valider des suppositions et des déguisements autant contraires à l’innocence de la justice, que le soleil est l’ennemi des ténèbres, et Votre Majesté du mensonge, du parjure et de l’impiété.

« Sire, j’ai dit que votre épargne est une mer en laquelle il y a des gouffres et des abîmes profonds et bien périlleux ; j’ajoute que cette mer n’est que trop souvent battue par une force de