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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

endormissement : en quoi nous sommes d’autant plus blâmables que nous avons dans le royaume toutes les commodités nécessaires pour nous rendre forts sur la mer, jusque-là même que nous en fournissons à nos voisins ; et avons encore, par les dispositions de la nature, des avantages tels que nous pouvons assujettir tous nos voisins, et les faire dépendre de nous.

« Nous avons les grands bois et le fer pour la construction des vaisseaux, les toiles et les chanvres pour les voiles et les cordages, dont nous fournissons toutes les provinces voisines. Nous avons les froments pour les biscuits, le vin, le cidre, la bierre, les matelots et mariniers en abondance, qui pour n’être pas employés par nous, vont servir vos voisins. Nous avons les meilleurs ports de l’Europe, et ce qui est grandement remarquable, nous tenons la clef de toutes les navigations de l’Est à l’Ouest, et du Sud au Nord. Je ne parle point de la conjonction de la Saône et Seine, qui se peut faire facilement, qui ôte à l’Espagne toutes les commodités du commerce, facilitant le chemin du Levant par la France en l’Océan, et étant la subjection de passer le détroit de Gibraltar ; de sorte que toutes les commodités du Levant et de la Méditerranée, seraient plutôt et plus facilement à l’extrémité de la France qu’à l’entrée de l’Espagne, et rendrions la France le dépôt commun de tout le commerce de la terre.

« Je n’y veux pas ajouter la communication de Seine et Loire, quoique facile, pour ne fonder ce discours sur des dessus de longue exécution ; mais je parlerai seulement des choses qui sont de la situation naturelle de ce royaume.

« L’Espagne ne peut trafiquer en Italie, ni en quelque autre endroit de la Méditerranée ; ni l’Italie et les autres lieux de l’Espagne, qu’ils ne passent à la vue et sous la couleuvrine des îles de Provence : et pour trafiquer d’Espagne et des côtes d’Afrique en Flandre, en Hollande, en une partie d’Angleterre, en Ecosse, en Danemark, aux villes Anséatiques et autres endroits du septentrion, ou de ces lieux en Espagne et autres endroits du Sud, il faut que les vaisseaux passent le Ras-Saint-Mahé à la miséricorde de nos canons, et par la Manche de laquelle il ne tient qu’à nous que nous ne nous rendions maîtres avec peu de difficultés.

« Toutes ces considérations que M. le cardinal de Richelieu a représentées au roi, entre les grands, honorables et généreux conseils qu’il lui donne, ont fait résoudre Sa Majesté de mettre, à bon escient, la main au commerce, et ne perdre les occasions d’enrichir son peuple et agrandir son État, d’honneur et de puissance, dont il vous fera représenter les articles sur lesquels il attend aussi vos avis.

« Vous verrez aussi les règlements que Sa Majesté a fait dresser pour les gens de guerre tant des garnisons que de la campagne, l’ordre pour les faire vivre sans fouler le peuple, la manière assurée pour régler leurs payements, le moyen de faire que le nombre porté par les états du roi soit effectif, et autres points importants que vous fera entendre M. le maréchal de Schomberg, à qui Sa Majesté en a donné la charge.

« Si, outre cela, vous avez à représenter à Sa Majesté quelque chose pour le bien de l’Église, et de la justice et police du royaume, ou autrement, elle entendra bien volontiers ; désirant néanmoins que l’assemblée ne soit pas tirée en longueur, pour ne détourner davantage, ni messieurs les prélats de leur résidence, ni messieurs les officiers de l’administration de la justice.

« J’ajouterai encore deux points, lesquels (combien qu’ils soient fort sévèrement punis par les ordonnances) ont besoin de nouvelles lois, et plus rigoureuses pour leurs châtiments, et d’une plus industrieuse recherche, pour pénétrer les fraudes et les secrètes voies que l’on y pratique : car la fréquence des crimes augmente la rigueur des peines, et la facilité de les commettre oblige les juges et les lois à en rendre les preuves plus aisées, de peur que la malice ne triomphe de leur soin et demeure impunie, sous l’assurance qu’elle prend dans ses artifices.

« Le premier point est la licence effrénée d’abuser des deniers du roi, les retenir et les approprier avec tant de subtilité et de finesse, que les lois introduites contre le péculat sont impuissantes, et surmontées par l’avarice qui déguise et enveloppe ses larcins en tant de manières, qu’il est quasi impossible d’en convaincre les coupables.

« L’autre est des fréquentes rébellions, soulèvements et conjurations contre l’État, et de l’insupportable facilité à s’y engager, lesquelles se traitent par factions, liaison, et serments, sous diverses couvertures, en telle sorte que l’on a peine de les découvrir.

« Et la dernière conspiration donne sujet à Sa Majesté d’y pourvoir pour l’avenir, pour ce que l’ayant découverte et avérée si clairement, comme il a fait, la manière de laquelle il en a eu les preuves, lui a fait connaître que ces affaires se négocient avec un si grand soin du secret, qu’il est nécessaire d’apporter pour l’avenir de nouveaux remèdes, tant pour avoir plus facilement la connaissance et les preuves de celles qu’on pourrait faire ci-après, que pour détourner ceux qui se voudraient engager à tels crimes, de ne s’y hasarder désormais, voyant qu’il sera plus aisé de les convaincre.

« Ils sont comme ceux dont parle un ancien auteur français bien sage et bien éloquent, qui veulent, dit-il, paraître si religieux observateurs de leurs serments, qu’ils aiment mieux commettre un homicide que de manquer au serment qu’ils ont fait de l’exécuter, suivant les lois de cet infâme honneur qui renverse tous les fonde-