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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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le peuple sans risquer d’exciter un soulèvement général.

Si, pour éviter cet inconvénient, disait-on à la cour, on assemblait les États généraux, cette démarche tardive ne tournerait-elle pas contre le gouvernement ? Quel gré saurait-on aux ministres d’avoir accédé à une demande qu’ils avaient constamment rejetée depuis plus d’un an ?

Était-il certain que, dans la fermentation des esprits, cette grande assemblée procurât aucun bien ? Les trois ordres ne demanderaient-ils point l’abrogation du concordat, le rétablissement de la pragmatique et la suppression des annates ? Le clergé ne voudrait-il pas s’affranchir des décimes, le peuple du taillon et des gabelles ? Tous se plaindraient de la déprédation des finances sous le feu roi, s’en prendraient à ceux qui avaient eu part à l’administration, et attenteraient à l’autorité royale.

À ces désordres se joignaient encore les troubles de religion qui croissaient de jour en jour. Les protestants demandaient la liberté de conscience, l’exercice public de leur religion, des temples et des revenus pour leurs ministres.

On prit le parti de convoquer un conseil extraordinaire composé des princes du sang, des grands officiers de la couronne, d’un grand nombre de notables. Il y fut arrêté, à la pluralité des voix, que l’on convoquerait les États généraux à Meaux le 10 décembre, et un concile national le 20 janvier suivant.

François II meurt le 5 décembre ; Charles IX lui succède : mineur incapable de régner par lui-même, il fit écrire à tous les parlements pour leur déclarer qu’il avait mis les rênes du gouvernement entre les mains de Catherine, sa mère.

Catherine n’était point entièrement rassurée à l’approche des États généraux. Les députés ne se croiraient-ils pas suffisamment autorisés à disposer de la régence, ou obligés à consulter leurs commettants sur un cas qui n’avait été omis dans leurs instructions que parce qu’il avait été impossible de le prévoir ? Ce qui s’était passé sous le dernier règne ne permettait pas de douter des principes et de la disposition des réformés à cet égard.

Dans la fameuse consultation qui avait servi de fondement à la conjuration d’Amboise, ils avaient décidé que toutes les fois qu’un roi est notoirement dans l’impuissance de gouverner par lui-même, c’est à la nation seule, conjointement avec les princes du sang, magistrats nés du royaume, qu’il appartient de disposer des charges principales, et de régler la forme de l’administration.

Les Guise, partisans de la reine mère, avaient employé tout leur crédit et celui de leurs amis dans les assemblées provinciales, pour exclure les réformés, et ne faire nommer pour députés que des catholiques. Cependant ils n’avaient pas également réussi partout. Dans quelques sénéchaussées, les brigues avaient été si fortes qu’on s’était séparé sans procéder à l’élection. Dans d’autres, les réformés avaient prévalu.

L’ouverture des États eut lieu le 13 décembre. Cette première séance fut consacrée à entendre les différents discours, et notamment celui du chancelier. Sa harangue fut trouvée noble et éloquente. Il exhortait les partisans des deux communions à la paix et à la concorde. Il établissait les avantages et le pouvoir des États généraux, et engageait les députés à travailler à la réforme du gouvernement.

Ils se rassemblèrent le lendemain.

Mésintelligence entre les trois ordres.

Mais, au lieu de se réunir tous aux Cordeliers, comme on le leur avait enjoint, la noblesse et le tiers état se retirèrent l’une aux Jacobins, l’autre aux Carmes.

Le clergé, sans paraître s’apercevoir de cette marque de mépris, procéda au choix d’un orateur pour l’assemblée. Le cardinal de Lorraine fut élu d’une voix unanime. On envoya quelques députés le proposer à la noblesse et au tiers état.

Innovation dans le choix d’un orateur.

Ces deux ordres le refusèrent et répondirent qu’ils avaient chez eux des hommes en état de remplir dignement ce ministère.

Le cardinal, piqué de ne pas être l’organe de la nation, refusa l’honneur qu’on lui avait conféré. On en choisit un autre ; et le clergé, qui jouissait du privilége exclusif de fournir un orateur à la nation assemblée, dissimula encore le chagrin que lui causait cette innovation.

Pratique des Châtillon pour faire déférer la régence au roi de Navarre.

Les promoteurs de la nouvelle religion, assurés de la rendre dominante s’ils parvenaient à faire déférer la régence au roi de Navarre, y travaillèrent avec chaleur.

Pour vaincre la résistance du clergé, ils avaient réussi à séparer les deux autres ordres ; et pour les entretenir dans cette division, on leur montrait que c’était l’unique moyen de faire retomber sur le clergé seul la contribution que le gouvernement demandait. On leur parlait des droits de la Navarre dont ils étaient dépositaires, et sur lesquels ils ne pouvaient se relâcher sans se couvrir d’infamie. Le plus sacré de ces priviléges consistait à former le conseil de la régence et à régler la forme de l’administration dans un temps de minorité.

Catherine, avertie de ces menées, fit arrêter au conseil un règlement qui lui attribuait la connaissance de l’administration civile et militaire, associait à son pouvoir le roi de Navarre, et subordonnait toutes les opérations à l’avis du conseil,