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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

Rôles de recette et dépense.

On finit par donner les rôles des revenus et dépenses de l’État.

À leur première inspection, les députés les suspectèrent.

Le domaine de Normandie et tous les revenus de la couronne, y compris les aides et gabelles, ne leur parurent point évalués à leur produit véritable. Ils trouvèrent qu’on avait beaucoup diminué la recette et grossi la dépense. Dans l’état des pensions, on n’y lisait que les noms de ceux qui les touchaient. On n’y avait spécifié aucune somme.

Les députés, enflammés de colère, en firent de sanglants reproches aux généraux des finances, et résolurent de dénoncer ces faux états au roi.

Pour trancher toute difficulté, on était d’avis de demander le rétablissement de ce qui se pratiquait sous Charles VII, la réduction des pensions et de toutes les dépenses tant ordinaires qu’extraordinaires.

On prit l’arrêté suivant :

« Nous offrons donc de payer à la royale majesté, en forme de don et octroi, la même somme que payait le royaume au glorieux roi Charles VII ; mais à condition que cette contribution n’aura lieu que pour deux ans, au bout desquels les États seront de nouveau assemblés ; et nous demandons que l’on fixe, par une déclaration irrévocable, le temps et le lieu de cette assemblée. »

Il y eut de vives altercations aux conseils sur les offres des États. On ne pouvait les accepter sans faire des diminutions considérables sur les pensions, les gages et les offices. Les grands ne voulaient pas que ces retranchements tombassent sur eux. D’un autre côté, il paraissait difficile de faire changer aux États leur dernier arrêté.

Le chancelier revint à l’assemblée, et témoigna aux députés qu’ils n’avaient plus à délibérer, mais à se soumettre à la volonté du roi.

Ce discours fut suivi d’un morne silence, puis d’un murmure confus et de tous les indices d’un mécontentement général. On trouva que le discours du chancelier portait atteinte à la liberté nationale et au droit sacré de propriété. Si le roi pouvait, de son propre mouvement et sans le consentement des États, augmenter les impôts de 300 000 livres, il pourrait de même les doubler et les tripler.

Au lieu de 755 000 livres auxquelles on avait évalué le domaine, en y comprenant les aides et gabelles, les députés, en se chargeant eux-mêmes de la régie, assuraient à l’État un revenu de 1 900 000 livres, avec lequel, et sans rien lever sur le peuple, on stipendierait la milice déjà existante, on payerait la dépense de la maison du roi, les gages des officiers, etc. ; les comptes en devaient être rendus aux États assemblés, moyen simple de se délivrer des officiers de finance qui absorbent une partie des revenus, de supprimer les pensions et autres libéralités indiscrètes qui épuisent le trésor public.

La nation de Paris déclara qu’elle s’en tiendrait à son premier arrêté, et que néanmoins elle payerait, pour une année seulement, sa part des 300 000 livres d’augmentation, pourvu toutefois que les autres nations y donnassent aussi leur consentement.

La nation de Bourgogne déclara qu’elle ne prenait aucune part à l’affaire présente, et qu’en proposant de rétablir les impôts sur le pied où ils étaient sous Charles VII, elle n’avait pas entendu être comprise dans la distribution de 1 200 livres}.

Les quatre autres nations ne se départirent point de leur dernier arrêté.

La cour ne savait quel parti prendre. D’un côté, c’était compromettre l’autorité du roi en l’exposant à un refus absolu ; d’un autre côté, il paraissait honteux aux princes de céder après s’être si fort avancés. On crut que le meilleur moyen était de corrompre les hommes les plus accrédités de chaque nation. On les mande à la cour, et l’on s’attache surtout aux députés de Normandie, à l’égard desquels on employa tour à tour les voies de la séduction et des menaces.

Les députés de la Normandie répondirent que personne ne devait être surpris qu’ayant juré de défendre la cause du peuple, ils s’acquittassent de leur serment : que les tailles établies dans l’origine pour subvenir à un pressant besoin, et pour un temps limité, auraient dû cesser depuis la paix ; que le domaine de la couronne, pendant bien des siècles, avait suffi à toutes les charges du gouvernement ; que l’impôt sur le sel et sur les boissons, accordé dans des moments critiques, avait été annexé au domaine de la couronne ; que le produit de ces impositions était passé entre les mains des particuliers par des concessions indiscrètes ; que l’inapplication de quelques rois et leur profusion ayant épuisé la source des revenus publics, on avait imaginé les tailles qui ne sont pas bornées à une redevance fixe et certaine, mais qui dépendent uniquement du caprice de celui qui gouverne.

Les gens du conseil furent irrités de ce discours. « N’espérez pas, dirent-ils aux députés, nous en imposer par toutes vos ruses. Nous pénétrons votre dessein. Vous voulez rogner les ongles au roi et lui compter les morceaux. »

On finit cependant par promettre d’avoir égard aux remontrances de ces députés, qui s’en retournèrent à Tours, et furent surpris de trouver fort avancée la négociation dont ils se croyaient seuls chargés. On avait effectivement usé des mêmes armes contre les députés des autres nations, qui s’étaient rendus sans beaucoup de résistance.