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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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sation a ouvert la porte à une foule d’expédients ruineux, de trompeuses ressources et de larcins déguisés, qui ne cesseront de ruiner l’État, jusqu’à ce qu’il se rapproche de sa constitution première.

« Si l’on ajoute que le roi se donnerait des entraves en renonçant à imposer ses sujets sans leur consentement, je répondrai qu’il ne perdra rien au change. Car puisque, sans être consulté, sans entendre les raisons qui engageaient le prince à augmenter les impôts, le peuple a payé jusqu’à ce jour, que ne fera-t-il point quand il saura que la demande est juste, qu’elle a été discutée et approuvée par ses représentants ?

« Acheverai-je de dire librement ce que je pense ? Cette excessive facilité qu’ont trouvée nos derniers monarques à se procurer tout l’argent qu’ils désiraient, les a rendus et trop entreprenants et trop inconsidérés sur les objets de dépenses. S’ils avaient été obligés de mesurer leurs projets sur leur revenu, ils auraient préservé leur cœur d’attenter à la liberté de leurs voisins, et leurs mains de fouiller si avant dans la bourse de leurs sujets. »

ÉTATS GÉNÉRAUX EN 1302, SOUS PHILIPPE LE BEL.
Démêlés avec le pape Boniface VIII.

Le pape Boniface VIII prétendait porter la plus forte atteinte à l’autorité des rois. Il voulait étendre sa puissance sur le temporel du royaume ; il avait déjà lancé plusieurs bulles, tant pour révoquer les grâces qu’il avait accordées pour fournir aux frais des guerres que la France avait à soutenir, et les priviléges concédés au roi et à ses successeurs, que pour défendre aux ecclésiastiques de payer ni décimes ni subsides, sans une permission expresse de la cour de Rome. Il soutenait que la collation des bénéfices n’appartenait pas au roi, et que la régale était une usurpation.

Philippe n’oublia rien pour intéresser tous ses sujets dans sa cause, et voulut se munir de leur approbation contre les entreprises injustes du souverain pontife.

Il convoqua les États généraux à Paris, dans l’église de Notre-Dame, le 10 avril 1302.

Philippe, dans cette assemblée, reçut les témoignages de l’attachement le plus inviolable.

Le garde des sceaux exposa les prétentions monstrueuses du pontife romain, et observa que la convocation du clergé à Rome, pour y délibérer sur la réforme du gouvernement, décelait tous les mauvais desseins du pape, coupable de mille vexations envers l’Église gallicane par ses réserves, par les collations arbitraires des évêchés, par les provisions des bénéfices qu’il donnait à des étrangers et à des inconnus qui ne résidaient jamais. Le garde des sceaux termina ce discours par communiquer l’intention où était le roi de ne plus tolérer ces abus, et d’exposer pour cet intérêt général ses biens, sa personne même et ses enfants, s’il en était besoin.

Toute l’assemblée applaudit à cette généreuse résolution. On protesta qu’on ne reconnaîtrait jamais en France que Dieu et le roi dans le temporel. Le monarque fut prié de prendre tous les ordres du royaume sous sa garde particulière, et de les protéger contre les entreprises des puissances étrangères.

Philippe, quoique charmé de cette disposition générale, voulut encore avoir l’avis de chaque ordre en particulier sur l’article de la mouvance.

Le comte d’Artois, portant la parole pour la noblesse, protesta que tous les gentilshommes étaient prêts à exposer leurs biens et leurs vies, pour la défense des libertés du royaume.

Le clergé balança, demanda plus de temps pour délibérer, voulut excuser le pape, représenta que son intention n’était pas de combattre la dignité royale, exhorta le prince à conserver l’union qui avait toujours régné entre l’Église romaine et ses prédécesseurs ; mais enfin, pressé de répondre sur-le-champ, effrayé des scandales qu’il causerait, et du schisme qu’il croyait inévitable s’il ne contenait le monarque, il lui jura sa soumission et sa fidélité. Il le supplia cependant de lui permettre de se rendre auprès du pontife romain. Le roi et les barons protestèrent qu’ils ne le souffriraient pas.

Le tiers état présenta au roi une supplique « à l’effet qu’il lui plût garder la souveraine franchise de son royaume, qui est telle que, dans le temporel, le roi ne connaît de souverain sur terre fors que Dieu. »

La délibération de l’assemblée fut que les trois ordres écriraient au pape, pour lui représenter les priviléges du royaume et les droits du roi.

Philippe, de son côté, lui envoya un prélat pour le prier de remettre son concile à un temps plus favorable, et de vouloir bien épargner ses peines pour la réforme du gouvernement, le roi devant y travailler lui-même.

Le clergé écrivit au pape ; la noblesse et le tiers état aux cardinaux.

La vigueur de ces lettres, où le pape n’était nullement ménagé, et où l’on affectait de lui refuser la qualité de souverain pontife, étonna la cour de Rome. On prit le parti de nier que Boniface eût voulu contester la juridiction du roi pour le temporel ; que le nonce n’avait rien dit qui pût le faire supposer, et que les déclamations du garde des sceaux dans l’assemblée des États, n’avaient aucun fondement réel. Désaveu remarquable ! mais le lecteur peut juger s’il est sincère[1].

ÉTATS GÉNÉRAUX DE 1313, SOUS PHILIPPE LE BEL.

La Flandre s’était révoltée. Les impôts dont cette province était accablée par les conseils du chancelier Laflotte, homme violent et avare, furent la cause de ce soulèvement, que le roi voulut

  1. Histoire Ecclésiastique, de Fleury.