Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome I (2e éd).djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

p. 50

[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

généraux, il suffira de parcourir rapidement les principaux objets qui sont du ressort de ces assemblées. Si le peuple se plaignait de l’augmentation des impôts, et voulait s’autoriser de ce qui se pratiquait il y a un siècle, pour demander des diminutions, et que le roi, d’un autre côté, voulût lui faire entendre que par les changements survenus depuis ce temps dans le numéraire, et le renchérissement de toutes les choses de première nécessité, la même somme de deniers ne répond plus aux mêmes besoins, et que le gouvernement, en tirant en apparence plus d’argent du peuple, est dans la réalité plus à l’étroit qu’il ne l’était alors : où ces sortes de questions peuvent-elles être plus convenablement discutées et éclaircies que dans une assemblée d’État ?

« Si le peuple, représentait que par l’ancienne constitution de l’État, le roi doit vivre de ses domaines, soudoyer sa gendarmerie du produit des tailles, et faire face aux dépenses de la guerre avec le produit des aides et gabelles, puisque ces impôts permanents ne lui ont été accordés qu’à ces conditions, et que le roi fut intéressé à lui montrer qu’il a trouvé, en montant sur le trône, presque tous les domaines de la cour aliénés, les aides et gabelles chargés de rentes et d’hypothèques qui en absorbent tout le produit ; que, privé de ces deux branches de revenus publics, et chargé en outre d’une masse énorme de dettes qu’il n’a point contractées, mais qu’il ne pouvait méconnaître sans manquer à la foi publique, il lui est désormais impossible de faire face aux dépenses courantes et aux frais les plus indispensables de l’administration ; par qui et en quels droits ces arrangements de famille peuvent-ils être discutés et terminés plus facilement que par les représentants de la nation et dans une tenue d’États ?

« Si les ministres du roi sont calomniés, si l’on affecte de les dénoncer publiquement comme les auteurs des troubles et les oppresseurs de la liberté, quel plus beau moyen pourraient-ils désirer pour confondre leurs ennemis et se laver de tout reproche, et même de tout soupçon, que d’exposer devant la nation assemblée en quel état étaient les affaires, lorsqu’ils en ont été chargés, en quel état elles se trouvent maintenant, et de rendre un si bon compte de leur gestion, que l’envie soit forcée de se taire ou de rendre justice à leur intégrité ?

« En un mot, s’il s’élève dans l’État une clameur publique, une réclamation, où peut-elle être mieux approfondie que dans une assemblée d’États ? Paraître la mépriser, c’est souvent lui donner de la consistance.

« Les brouillons et les mécontents trouvant un champ si bien préparé, ne manquent pas d’invectiver en pleine liberté contre l’administration, et ne prêtent aux ministres que des vues intéressées, et parviennent sans peine à décrier leurs opérations. Les plus odieuses imputations se débitent à l’oreille ou dans de petits comités ; on les affiche au coin des rues, aux portes des églises, elles s’impriment dans une foule de libelles qui circulent dans les provinces et dans les pays étrangers.

« Qui peut prévoir où aboutiront ces menées ? Fasse le ciel que ma crainte soit vaine ! Mais je tremble qu’une ou deux provinces ne viennent à se détacher de la couronne, et à intercepter les deniers royaux. Où trouverions-nous les fonds nécessaires pour mettre sur pied une armée capable de les réduire ? Ce ne pourrait être qu’en foulant les autres. Mais ne risquons-nous pas d’y exciter un soulèvement ; et le feu de la révolte, en s’étendant d’une province à l’autre, ne finirait-il pas par embraser le royaume entier ?

« Un des plus précieux avantages qu’on ait lieu de se promettre de cette assemblée nationale, est de tirer promptement l’État du gouffre où il est enfoncé. Le Français est né généreux et sensible, et il n’y a point d’exemple que la nation ait refusé d’assister de tout son pouvoir, et souvent même au delà de ses forces, ceux de ses rois qui ont recouru à elle dans le malheur.

« Une seconde considération est la nécessité d’avoir de nouvelles lois, ou de renouveler les anciennes sur plusieurs objets d’administration. Car, bien que le pouvoir législatif réside essentiellement dans le roi seul, et que sa volonté permanente et dûment notifiée soit la règle à laquelle tous ses sujets doivent se conformer, il faut convenir cependant que, dans l’opinion publique, il y a de la différence entre les lois qui émanent du propre mouvement du roi, assisté de son conseil, et celles qui sont rédigées sur la pétition des trois ordres. On respecte moins les premières, parce qu’on soupçonne quelquefois qu’elles ont été suggérées par des ministres qui avaient des vues secrètes ; au lieu que les secondes, dictées par le seul amour du bien public, débattues et délibérées en présence de tous ceux qui avaient intérêt à la chose, portent toutes les caractères de l’équité, et deviennent la volonté commune, contre laquelle aucun particulier n’a le front de réclamer.

« On ne manquera pas de dire que c’est une vieille institution tombée en désuétude, qui n’est propre qu’à brider l’autorité du roi, et qui achèverait de tout perdre dans un moment de troubles et de divisions. Je réponds que si ceux qui s’autorisent de la longue interruption des États généraux pour les proscrire, avaient bien calculé les biens et les maux qui en sont résultés, il est au moins douteux qu’ils osassent s’appuyer d’un pareil titre. Car à quelle autre cause faut-il rapporter les calamités que nous éprouvons ? Et n’est-il pas évident que si les États eussent continué de s’assembler, la corruption ne serait point parvenue au point où nous la voyons ? Leur ces-