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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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de Dieu seul leur sceptre et leur couronne, et qu’ils n’en devaient rendre compte qu’à Dieu. Le pouvoir du souverain turc n’a pas d’autre fondement.

Les croisades sapent la féodalité par ses fondements.

Le pouvoir royal une fois devenu indépendant et héréditaire sans contestation, ce fut un grand bonheur pour nos rois que la piété du temps ordonnât les croisades. Les seigneurs français, les grands de l’État, tels que le comte de Toulouse, en passant en Orient, laissaient en France le pouvoir du roi s’accroître en paix. Ils apportèrent de ces guerres sacrées l’amour du luxe, de la société, du cérémonial, et ils s’attachèrent davantage aux rois qui, depuis la fin du douzième siècle, acquirent successivement les comtés d’Alençon et d’Auvergne, les comtés d’Artois, d’Evreux, de Touraine, du Maine, de l’Anjou, le duché de Normandie, le comté de Poitou, etc.

Suite du pouvoir souverain exercé par le roi et la nation assemblée.

Cependant, quoique les rois fussent héréditaires, indépendamment de la volontée nationale, la France assemblée se ressouvenait que si un long consentement avait toléré cette succession héréditaire, il n’en était pas de même des régences en cas de la minorité des rois. Blanche fit convoquer, non les champs de mars ni de mai que la féodalité avait fait oublier, mais un parlement général composé des pairs, des hauts barons, des évêques et des grands de la couronne et de l’État.

Saint Louis convoqua aussi un parlement pour s’informer du châtiment que méritait le vassal qui refusait l’hommage.

Blanche, sous sa seconde régence, convoqua de nouveau le parlement pour l’affranchissement des serfs.

Louis le Hutin reconnut devant les États assemblés, qu’on ne lèverait pas de taille sans le consentement des trois états.

Nouvelle forme des assemblées nationales sous Philippe le Bel.

Philippe le Bel, en effet, avait changé la domination de parlement en convoquant tous les ordres de son royaume ; et tandis que, sous le roi saint Louis, la nation était représentée par les pairs, les hauts barons, les prélats et les grands de l’État assemblés en parlement, sans que le peuple encore serf fût convoqué, les communes et les municipalités, relevées de la servitude, parurent au roi Philippe assez puissantes et assez considérables pour les appeler aux grandes sanctions du gouvernement.

Une preuve ultérieure, enfin, que sous la troisième race la nation exerça avec son roi des prérogatives de souveraineté, c’est le jugement porté dans l’assemblée des pairs, barons, prélats et autres du royaume ; toutes parties ouïes, il fut déclaré par la nation, représentée par les trois états, que le droit de Philippe de Valois était le plus apparent pour parvenir au trône : Edouard en fut exclu.

Quant aux subsides que le monarque ne pouvait ordonner que de concert avec la nation, les états avaient grand soin de modifier les levées d’impôts pour les dépenses de la guerre : il fut résolu aux États de 1355 qu’on n’en accorderait que pour un an.

La France perd la périodicité de ses assemblées, qui ne sont plus convoquées que par la volonté ou le besoin des rois.

La France cependant, qui, petit à petit, se changeait d’aristocratie féodale qu’elle était, en monarchie absolue, n’avait plus d’états généraux périodiques ; elle perdit cette périodicité en perdant ses champs de mai, et ne fut plus assemblée depuis, que par convocation royale ; mais le monarque, comme aujourd’hui l’Angleterre, ne pouvait rien faire en France sans le concours des États. Pour faire la guerre, il avait besoin de subsides, il avait besoin du consentement national. Les États demandaient la loi, ou la réforme des lois par des cédules, que l’amour du pouvoir dans les rois fit changer ensuite en termes de doléances et de remontrances pour les parlements. Les États ne cessèrent pourtant pas de transiger, pour ainsi dire, avec les rois dans les sanctions du gouvernement ; car, en 1356, il n’accordèrent des impôts que moyennant l’exécution de leurs demandes. Souvent ils approuvèrent la paix et la guerre, et toujours ils s’assemblèrent quand il fallut accorder des apanages aux nouveaux princes.

Les rois (dont le pouvoir augmentait journellement, parce qu’à l’établissement de la puissance royale héréditaire sous Capet, la nation n’avait pas eu soin d’opposer un pouvoir toujours subsistant, et parce que les rois, redoutant le pouvoir des assemblées, les défendirent sans le consentement royal), nos rois, dis-je, abusèrent souvent de leur puissance. Charles VI, en 1380, rétablit par un acte royal la nation dans toutes ses franchises, libertés, priviléges et immunités, sans qu’à l’avenir les usages introduits au contraire puissent être tirés à conséquence.

La France perd les prérogatives qui balançaient l’autorité du roi par l’extinction des grandes maisons.

La nation cependant devait petit à petit laisser perdre son pouvoir, car les familles des ducs et des comtes, qui en avaient un constitutionnel, balançant celui du roi, se fondaient dans la famille royale. Le Dauphiné, la Provence, le Languedoc et d’autres pays se rangeaient ainsi sous l’obéissance royale qui, héritant du pouvoir de ces princes, augmentait d’autant les domaines et