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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

et qui n’avaient pas oublié qu’il tenait sa couronne de leur générosité, au préjudice de la race régnante de Charlemagne. Ce n’est pas que la royauté ne nourrît dans son sein l’ambition d’assujettir toute puissance qui pouvait dominer en France ; mais le temps favorable n’était pas venu. La féodalité était encore trop redoutable : elle était dans son adolescence, et comme toutes les institutions, elle devait arriver à son âge de décrépitude. Alors les monarques, toujours avec l’énergie naturelle à leur constitution politique, devaient l’accabler par leurs attaques, et la jeter enfin dans un précipice d’où elle ne s’est plus relevée.

La France indivisible malgré la féodalité.

Cependant, malgré la division de la monarchie en un nombre infini de principautés subalternes, la France ne cessa jamais d’être indivisible, dans le sens que le roi ne put jamais étendre sa domination sur les terres possédées par ses vassaux médiats sans leur participation. Ainsi, pour la défense générale de la nation, il fallait traiter avec les chefs des peuples pour composer une armée et pour tout ce qui pouvait concerner la sanction de l’impôt.

La féodalité contribua à dégrader la royauté.

Enfin, c’est dans ces siècles de féodalité la plus puissante qu’on vit l’autorité royale avilie en France. Le roi n’étant auprès des grands seigneurs de l’État que comme un seigneur suzerain qu’il était indifférent de traiter avec les respects dus à ses prérogatives et à son caractère sacré, les peuples observaient même perpétuellement ce qu’il y avait de ridicule, de plaisant ou d’informe dans l’esprit ou la personne des monarques qu’ils ne distinguaient que par des sobriquets ajoutés à leur nom, et si on en excepte Charlemagne, qui s’attira le respect des peuples, on trouvera chaque roi de la seconde race avec des surnoms de cette sorte : ainsi on dit Childéric II l’Insensé, prédécesseur de Pépin ; on dit Pépin le Bref, Louis le Débonnaire, Charles le Chauve, Louis le Bègue, Charles le Gros, Charles le Simple et Louis le Fainéant. Ces dénominations de ridicule finissent à cette seconde race, et on ne trouve dans toute la troisième que Philippe le Long et Louis le Hutin, à qui la nation se soit permis de donner des noms de ridicule. Dans les âges de subordination, ce sont des noms respectueux ou imposants qui en prennent la place.

Telle fut donc l’usurpation de la noblesse, qu’ayant, selon la constitution de la France, concouru, au commencement de la monarchie, à la législation avec le monarque (nobiscum optimatibus convenit ; habita cum optimatibus tractatu) ; ayant concouru encore à faire la loi en Bourgogne avec le peuple (de mediocribus personis tam Burgundionibus quam Romanis), elle s’empara des droits régaliens, les unit à ceux qu’ils avaient constitutionnellement comme grands de l’État (optimates), et parvint jusqu’à ce point de puissance qu’elle insultait impunément par des épithètes injurieuses la personne royale. Cette conduite publique avouée de tous prouve bien que l’hérédité des fiefs qui se fortifia dans ces temps-là, s’affermit par une condition tacite, puisque l’opinion publique qui ne répugnait pas à traiter les rois peu respectueusement, ne s’intéressait guère à défendre leurs prérogatives, et c’est à cette opinion régnante que les priviléges de la noblesse doivent leur stabilité.

Origine des pairs de France.

Alors s’élevèrent les pairs de France, qui s’appelèrent ainsi de leur prérogative qui était telle qu’ils se crurent pairs avec le roi leur chef, ne reconnaissant en lui que l’autorité suzeraine. Devenus propriétaires des gouvernements, ils allaient de pair effectivement avec nos rois, qui faisaient la guerre, des traités et des alliances avec eux ; et tels furent les ducs de Normandie, de Bourgogne, de Guyenne, les comtes de Flandre, de Champagne, de Toulouse, et les pairs ecclésiastiques. Ces personnes exercèrent dans l’État tous les droits que les anciens (proceres optimates) avaient exercés de concert avec le roi et la nation, et comme l’autorité royale ne s’étendait guère alors que dans les domaines du roi, et que le monarque ne pouvait exercer son empire dans les terres des pairs de France, ces pairs devaient être convoqués dans les grandes sanctions du gouvernement.

§ III.

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Observation sur la constitution de la monarchie sous la troisième race et sur les assemblée nationales. Suite des preuves que la souveraineté a appartenu à la nation conjointement avec les rois.
Élection de Capet.

La plus grande preuve que la souveraineté appartenait encore à la nation assemblée, c’est de voir la couronne ravie à la race de Charlemagne et donnée à Capet. Le nouveau monarque le sentit bien, car c’est lui et non point la loi salique qu’il faut regarder comme le destructeur du droit d’élection ou de consentement à l’avénement au trône des nouveaux rois.

Aussi les premiers rois de la troisième race eurent le soin de faire sacrer de leur vivant leur fils aîné. Cette politique établit l’hérédité linéale et agnative : elle empêcha les élections orageuses, contraires à la tranquillité publique ; mais aussi cette succession héréditaire donnant à une famille la propriété de la couronne, fit oublier aux rois qu’ils devaient le trône à leurs égaux, et dès lors surtout ils persuadèrent les peuples qu’ils tenaient