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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

L’état de la nation, sous Louis XVI, obérée d’impôts, et soupirant après son ancienne liberté, et après des droits que le monarque a déclaré vouloir lui restituer, en est une preuve.

Description des âges ignominieux de la féodalité ; horreur de ce gouvernement dans sa dégénération finale.

On voit donc que s’il faut reconnaître que la constitution du gouvernement féodal primordial avait quelque motif d’intérêt public, on ne peut appliquer cette observation au despotisme féodal, aussi absurde que le despotisme des rois ; la féodalité eut ses âges ignominieux, comme la royauté eut le sien ; les annales des empires n’oublieront jamais ces âges honteux où les hommes, n’ayant que la condition des bêtes, souffrent comme en Russie, en Pologne, et comme ils souffraient en France, il y a cinq siècles, sous la verge de fer du tyran barricadé dans son inaccessible donjon. Cette condition des citoyens, aussi déplorable que celle de l’esclave dans la monarchie despotique, doit être à jamais l’objet de l’exécration de tous les hommes.

Réclamation du tiers état en France pour obtenir la suppression des ordres.

Fatiguée de cette sorte de tyrannie, plus fatiguée encore de l’oppression qu’exercèrent sur les Français les derniers monarques, la nation se tourmentait et s’agitait, demandait une nouvelle forme de gouvernement ; et il s’éleva en France, dès 1787, un tiers parti, qui, dans le mécontentement universel, sembla demander un gouvernement comme populaire qu’il voulait substituer en France au gouvernement féodal et monarchique. Par cette tentative, on devait établir un État nouveau, gouverné par un roi, sous lequel tous les ordres, tous les états, seraient confondus en un seul état, avec des sûretés qui auraient prévenu l’abus du pouvoir du monarque pour l’avenir.

Le parti contraire opposait que le monarque ne devait jamais avoir droit de renverser les prérogatives des corps ; que, s’il n’était plus environné de pairs, de gentilshommes et de clergé réunis, dès lors il n’était plus d’association ni de corps en France, il n’y aurait plus cet intérêt qui les maintenait, qui en était le mobile, le principe et le soutien.

Comment pourrait-on former alors dans le peuple une corporation nécessaire pour opposer à l’autorité royale ? Sans doute que des représentants élus pourraient agir auprès du roi : ainsi on placerait près du monarque un corps populaire et national, élu périodiquement ; car la royauté ayant une permanence, ce corps populaire devrait en avoir une.

Or, dans le concours de la permanence héréditaire du roi et de la permanence élective du corps national populaire, l’autorité royale, toujours subsistante et héréditaire, subjuguerait nécessairement l’autorité nationale qui résiderait dans un corps perpétuellement élu, parce qu’un corps qui se maintient par voie d’élection est moins bien constitué qu’un corps qui se maintient par succession héréditaire.

On en concluait, en faveur du régime ancien, qu’il fallait, en bonne politique, opposer à la force et à la prérogative royale que l’hérédité rend perpétuelle, une semblable perpétuité héréditaire dans le corps représentant la nation ; et comme cette perpétuité ne pouvait se trouver dans l’ordre du peuple que par l’élection, à cause de notre grande population, la voie d’élection étant inférieure en pouvoir et en moyens à la succession héréditaire, il était nécessaire dans une assemblée nationale de la fortifier par un pouvoir héréditaire ou par un pouvoir de succession, qui sont de leur nature plus à l’abri qu’un pouvoir fondé sur des élections, des coups d’un despote qui commande à cent mille hommes.

D’ailleurs elles observaient que l’hérédité monarchique était devenue une loi fondamentale dans l’État, tandis que la constitution élective d’un corps populaire ne serait qu’un établissement moderne, faible de sa nature, combattu par la noblesse et le clergé, nouveau dans les esprits et dans l’opinion publique, et que la faction des Seize et les efforts de la Ligue ne purent jamais établir en France.

Les auteurs de ces objections ajoutaient qu’ils ne méprisaient pas le gouvernement populaire ; ils reconnaissaient qu’on y trouve de plus vraies et de plus éclatantes vertus que dans les gouvernements monarchiques : mais ce gouvernement ne pouvait, selon eux, être fondé dans un empire vicié presque dans toutes ses parties, qui devrait être régénéré dans tous ses membres, et dont on devrait renouveler toutes les institutions, les principes, les préjugés, le genre de connaissances, les lois et l’éducation ; pour un vrai citoyen en France, ne comptait on pas des milliers de lâches !

Enfin, si les rois sont parvenus, dans les derniers siècles, à établir un pouvoir absolu dans le sein d’un clergé jadis indépendant ; si les richesses de ce clergé ne sont aujourd’hui distribuées que par le monarque ; si dans les siècles les plus redoutables, la force royale est parvenue à renverser tout droit d’élection dans ce corps, à plus forte raison le pouvoir royal parviendrait à la longue à renverser, à subjuguer toute corporation élective et populaire : opposer au pouvoir royal un seul corps éligible et populaire, ce serait n’opposer qu’une confédération impuissante au pouvoir qui a su renverser en France toutes les digues que le génie politique national avait cru pouvoir lui opposer ; et que pourraient mille représentants de la France, périodiquement éligi-