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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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souvent erré sur sa véritable source. Voici ce qui paraît de plus certain sur cette matière :

Les monuments de l’histoire les plus sûrs nous montrent, dans l’établissement de la monarchie française dans les Gaules, un clergé et un ordre de grands que Clovis respecta tellement qu’il en embrassa le culte et la religion ; il en adopta les usages, les mœurs et les coutumes. L’église gallicane et la noblesse gauloise étaient donc, dans les Gaules, plus anciennes que la monarchie française.

Les Francs, de leur côté, qui arrivèrent dans les Gaules et qui s’y établirent, furent conduits aussi par des chefs qui étaient nobles, seigneurs et ducs parmi les conquérants. La noblesse gauloise s’associa bientôt à cette noblesse conquérante de Francs, et ne fit dans la suite qu’un seul et même corps avec elle, la première subsistant par ses richesses héréditaires, et la seconde, par les biens échus au partage du butin, par des terres conquises, ou par des bénéfices qui étaient les biens fonds concédés à vie par le roi ou par la nation assemblée.

Hérédité des fiefs ; la vraie source.

On a considéré l’hérédité des fiefs comme une injustice faite à la royauté, à qui, dit-on, appartenait la souveraine puissance : on ne fait pas attention sans doute que nos rois, élevés librement sur un bouclier au commencement de la monarchie, ne pouvaient refuser à la noblesse qui se départit de son pouvoir d’élire des rois, l’hérédité des fiefs qui fut ensuite sanctionnée par Charles le Chauve.

La royauté devenue héréditaire favorisa elle-même et profita de cette hérédité des fiefs, ce qui consolida la révolution ; car elle éloigna de la cour tous les anciens compagnons de la conquête qui, dans ces âges primitifs, étaient les voisins les plus dangereux pour la tranquillté des monarques. Dans ces temps de barbarie, l’hérédité a même pu être utile ; et la nation, semblable à celle des Vandales, des Goths, desVisigoths et de tant d’autres peuples qui arrivaient du Nord, eût peut-être été livrée à des divisions destructives et intestines, elle eût été étouffée dès ses premiers commencements, si l’on n’eût favorisé et permis cette continuation de commandement qui tendait à prévenir les usurpations et les guerres intestines.

Charlemagne, quelque puissant qu’il fût, crut qu’il était de son intérêt de contenir les peuples sous l’obéissance des ducs, des comtes et des seigneurs répandus dans toutes les contrées de ses dominations ; il établit sa puissance sur cette division du pouvoir, confirmant dans l’assemblée nationale de Paderborn tous les priviléges de la noblesse française et allemande, qu’il nomma les fondements et les soutiens de la monarchie.

Comparaison des abus du gouvernement féodal avec les abus d’un gouvernement qui tomberait dans le despotisme d’un seul.

Le ministre français n’a cessé, dans ces derniers temps, de reprocher les exactions de cette contitution féodale ; mais il n’a pas fait attention que le peuple, ayant secoué le joug des ducs et des barons, est tombé sous la servitude des gouverneurs, des commandants et des intendants que le roi leur a donnés ; car, pour contenir la multitude, pour faire régner la justice, pour conserver la tranquillité dans un empire, le monarque a toujours eu besoin de diviser son pouvoir, de le partager et d’en confier une portion ; et il était alors plus politique de le confier, avec droit d’héritage, à des familles qui y trouvaient leur considération, leur fortune et leur subsistance héréditaire, que de voir le pouvoir royal confié, par une commission révocable à volonté, à des commandants qui répandent des armées corruptrices dans les provinces, et à des maîtres des requêtes avides qui deviennent (moyennant une finance) des intendants de province, dont on connaît en général l’esprit déprédateur et despotique.

Le gouverneur féodal était un contrepoids du despotisme royal ; c’est sous ce rapport qu’il a pu avoir une utilité relative dans les monarchies : pour s’en convaincre, on n’a qu’à jeter les yeux sur quelques-unes de ces petites souverainetés de l’empire, qui ont conservé leur constitution, et qui sont surveillées par le pouvoir impérial et par celui de la diète Le duc, le palatin, le prince régnant ne peuvent ni faire la guerre, ni grever les peuples, ni abuser de la force comme dans la plupart des monarchies de l’Europe, qui, après la chute du gouvernement féodal, sont tombées et dans l’excès contraire, et dans un état de sujétion qu’avait profondément, et depuis longtemps, médité le conseil des rois.

Mais comme c’est le propre des institutions qui n’ont qu’un genre d’utilité de circonstance, et dont le principe est vicieux, de se corrompre, ce gouvernement parvint à asservir les hommes, à les rendre esclaves et serfs, et il fut un temps en France où les seigneurs, comme d’un consentement unanime, asservirent les peuples comme les monarques modernes ont asservi leurs sujets ; car la monarchie absolue, comme le régime féodal, ont des moyens de corruption qui aboutissent au même résultat, et tôt ou tard une nation telle que la nation française, dont le caractère est bon, tranquille, porté à la jouissance et aux plaisirs, doit être asservie par tout pouvoir quelconque qui la dominera, n’étant point dans son caractère de montrer une perpétuelle résistance à l’effort continuel ou des rois ou d’une noblesse, environnés d’un conseil permanent, ambitieux, éclairé, avide d’autorité et des biens des sujets.