Page:Archives parlementaires de 1787 à 1860, Première Série, Tome I (2e éd).djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

p. 37

pour le tiers état. Tous, comme de concert, sentirent la nécessité de ne point se laisser maîtriser par aucune influence étrangère dans l’élection de leurs représentants ; tous refusèrent de reconnaître les hommes qui n’étaient pas de leur choix, et les assemblées se formèrent sous la présidence des doyens d’âge, qui, d’une voix unanime, prirent la place des commissaires. C’est alors que Paris fut partagé en soixante districts.

Les cabales et les brigues, pendant les élections, s’y montrèrent avec plus de fureur encore que dans les provinces. Les grands qui n’avaient pu, dans leurs bailliages, réussir à se faire députer aux États généraux, accoururent à Paris et employèrent toutes les ressources de l’intrigue pour parvenir à maîtriser les suffrages. Les amis de la liberté triomphèrent dans les assemblées de la ville ; il n’en fut pas de même dans celles de la prévôté. M. d’Eprémesnil y fut élu le premier à pareil jour où l’année précédente il avait été arraché du Palais.

Les assemblées de la commune furent très-tumultueuses ; la défiance, l’animosité et l’esprit de parti prolongèrent pendant plus d’un mois la durée de leurs séances. L’approche du jour fixé pour l’ouverture des États, qui semblait devoir être un point de ralliement pour tous les électeurs, ne fit qu’irriter toutes les petites passions auxquelles ces séances étaient entièrement livrées, et les élections ne furent achevées que quinze jours après la cérémonie de l’ouverture.

Le clergé de Paris se déshonora par la bassesse, l’ignorance et le fanatisme qui régnèrent dans toutes ses délibérations : il se déclara ouvertement pour le dogme de l’obéissance passive. On crut être encore au temps de la Ligue lorsqu’on vit des énergumènes crier au despotisme, à l’hérésie, à l’athéisme contre le petit nombre de prêtres qui soutenaient que la puissance publique vient de la nation ; mais on se crut dans l’antichambre d’un ministre, conversant avec ses laquais, quand on entendit un ecclésiastique dire tout haut qu’il était de l’opinion de monseigneur, non-seulement sur ce qu’il avait dit, mais encore sur tout ce qu’il pourrait dire. « Qu’on décerne à l’opinant un habit de livrée, » s’écria un membre de l’assemblée. Toute la capitale fut de son avis.

Malgré les troubles qui agitèrent la France d’un bout à l’autre pendant la tenue des assemblées pour les élections des députés, l’opinion publique ne fut point ébranlée. On ne tarda même pas à s’apercevoir que le flambeau de la discorde jeté au milieu du peuple ne servait qu’à l’éclairer sur ses véritables intérêts.

Aussi, malgré la précipitation avec laquelle les cahiers des différents bailliages furent rédigés, ils présentèrent un ensemble frappant de réclamations, d’observations et didées régénératrices. C’est là surtout qu’il faudra recourir pour connaître l’étendue des abus qui régnaient sur la France, et le premier effet de la Révolution[1].

Ce fut alors que se manifestèrent des mouvements dans les faubourgs de la capitale. Un citoyen estimé, M. Réveillon, fabricant de papiers, qui entretenait continuellement trois cents ouvriers, qui les faisait vivre lors même que la rigueur de la saison suspendait les travaux, devint tout à coup l’objet delà fureur de la multitude, dont il avait auparavant l’affection. On suggéra aux ouvriers de lui demander des augmentations exorbitantes de salaire, on les ameuta contre lui, de l’argent fut distribué pour les porter à un soulèvement.

Les auteurs de cette conjuration n’avaient contre cet honnête citoyen aucun sujet de haine personnelle. Mais son nom était connu du peuple, il avait un procès criminel contre un fripon audacieux ; c’en était assez pour leur objet ; il leur fallait un prétexte pour assembler des troupes ; il leur fallait des crimes, afin d’exercer les troupes sur les scélérats pour frapper ensuite sur les gens de bien. Voilà le mot de cette terrible énigme qui a si longtemps épouvanté tous les esprits.

On commença par répandre le bruit que M. Réveillon avait proposé de réduire à 15 sous la paye des ouvriers ; qu’il avait dit hautement que le pain de froment était trop bon pour ces gens-là, et qu’il fallait les nourrir de farine de pomme de terre, etc. Depuis quelques jours il entrait dans la ville une foule de gens sans aveu. Leur nombre s’étant multiplié au point désiré, sans aucune opposition de la police, ces malheureux s’attroupèrent, portant au milieu d’eux un mannequin de paille auquel ils donnent le nom de Réveillon. Ils lisent sur la place Royale un prétendu arrêt du tiers état, qui le condamne à la mort : de là ils se répandent en tumulte dans la ville. L’effroi les précède, les boutiques sont fermées sur leur passage, et l’on ne se met nullement en peine de les dissiper.

M. Réveillon, alarmé, court implorer l’assistance du lieutenant de police. On lui promet de puissants secours, et on lui envoie, pour garder une maison immense et de vastes jardins, une poignée de soldats. Cette troupe de vagabonds, qui avait jeté la terreur dans toute la ville, passe la nuit dans les cabarets et se dispose par de brutales orgies aux crimes du lendemain. Au point du jour ils courent dans les manufactures, emmènent de gré ou de force tous les ouvriers, répandent l’argent à pleines mains, et marchent, en

  1. Il en a été fait un résumé général en trois volumes in-8o, avec une table raisonnée, au moyen de laquelle on connait, au premier coup d’oeil, soit l’unanimité, soit le nombre des bailliages, en faveur de chaque demande contenue dans les cahiers. L’étendue de ce travail ne nous a pas permis de le rapporter. Mais on en trouve les principales bases dans le cahier du tiers état de Paris, dont nous donnons un extrait à la tin de cette Introduction.