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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

arbitraire employé à protéger la liberté individuelle des citoyens.

Tous les membres de la noblesse de Franche-Comté avaient également déclaré dans leur assemblée, tenue à Quingey, le 1er octobre 1788, qu’ils étaient citoyens avant d’être gentilshommes. Mais ils employèrent par-dessous main toutes sortes de manœuvres pour anéantir l’égalité proportionnelle d’influence à laquelle le tiers état avait le droit reconnu de prétendre dans les assemblées de la province. Le serment qu’ils avaient proféré le 10 septembre de ne jamais adopter d’autres assemblées que celle des anciens États, dont ils ne pouvaient cependant se dissimuler les monstrueux abus ; la coalition du haut clergé qui n’avait pas rougi d’appuyer leur demande, et de soutenir leur imposture auprès du monarque, en avançant faussement que le tiers exprimait le même vœu ; leur contenance à persévérer dans leurs trois cris de ralliement : trois ordres !… trois chambres !… avaient occasionné une scission qui allait devenir le germe d’une division éternelle entre le peuple et les privilégiés. Heureusement pour la province la cour se défia de leurs intentions, et l’arrêt du 1er novembre qu’ils en obtinrent prévint le vexations qu’ils voulaient perpétuer, en ne permettant la convocation des États, dans leur ancienne forme, qu’afin d’avoir un avis plus éclairé sur la meilleure manière de constituer dorénavant cette assemblée.

Les privilégiés du Dauphiné continuèrent également à mettre leur mauvaise foi et leur ambition à découvert de la manière la plus honteuse. Après avoir paru approuver la nouvelle constitution que se donnèrent les États, ils firent tous leurs efforts pour la renverser ; l’archevêque d’Embrun les engagea à tenir une séance particulière dans laquelle il les exhorta, dans les termes les plus pressants, à revenir sur leurs pas, et à dissoudre les États. Il vint ensuite à Paris, où il publia des mémoires, et parvint à réunir une assemblée de quatre-vingt-trois gentilshommes, qui prétendirent avoir le droit de députer aux États généraux[1]. Les ministres et les États généraux s’obstinèrent à méconnaître tant de vertu et de patriotisme, et à ne répondre que par des sifflets à ce dévouement héroïque.

Les communes et le bas clergé de Bretagne s’assemblèrent par bailliages, et nommèrent leurs députés aux États généraux. Les deux ordres privilégiés assemblés à Saint-Brieuc par ordre du roi, déclarèrent qu’ils renonçaient à tous leurs priviléges pécuniaires ; mais que, n’étant pas réunis en corps d’état, ils ne pouvaient nommer de députés à l’assmblée nationale du royaume. Leur motif était la crainte qu’on ne délibérât par tête à cette assemblée, et qu’on voulût y réformer la constitution bretonne.

Le Parlement de Rouen, à l’exemple de celui de Besançon, signala sa tyrannie en décrétant un citoyen, pour avoir osé élever la voix dans son bailliage contre les abus du despotisme parlementaire. Enfin le Parlement de Paris, tantôt poussé par l’esprit de corps, tantôt entraîné par le torrent de l’opinion publique, ne pouvait s’arrêter à aucun système ; il se montrait populaire ou aristocrate selon l’impulsion du jour et les passions de ses orateurs.

Le 5 décembre, il parut disposé à défendre la liberté ; au mois de janvier suivant, il voulut se faire dénoncer le rapport de M. Necker au conseil ; peu de temps après, il laissa pénétrer et son véritable esprit, et son impuissance, par la démarche la plus impolitique. Le docteur Guillotin, médecin de la faculté de Paris, ayant fait un plan de cahier connu sous le titre de Pétition des citoyens domiciliés à Paris, qui fut adopté par les six corps, et déposé par eux chez un notaire pour recevoir les signatures de tous les citoyens qui voudraient lui donner cette marque de leur approbation, fut mandé à la grand’chambre, ainsi que l’imprimeur et les syndics des notaires. Ils y arrivèrent au travers d’une multitude immense, curieuse d’apprendre les suites de cette affaire. Au moment où le Parlement s’en occupait, une foule de citoyens signaient la pétition dans les salles du Palais ; ce qui prouvait aux magistrats qu’il était de la prudence d’avoir égard aux circonstances délicates dans lesquelles ils se trouvaient. L’auteur de cet écrit, interrogé d’un ton sévère sur ses principes et ses opinions, soutint avec courage la cause qu’il a dû défendre, et les juges n’osèrent ni le condamner ni l’absoudre. Le peuple, qui remplissait la grand’salle, et attendait avec impatience son intrépide défenseur, le reçut avec de grandes acclamations, le couronna de fleurs et le reconduisit en triomphe. Le Parlement était, comme le public, divisé en deux partis : l’esprit de corps et les antiques préjugés luttaient avec force contre l’esprit national et les vrais principes des droits des hommes. C’était l’image du combat de la lumière et des ténèbres.

Les lettres de convocation pour la ville de Paris, retardées par des difficultés locales et par les prétentions réciproques du prévôt des marchands et du prévôt de Paris, parurent enfin. Contre l’usage constant de cette ville où les élections s’étaient toujours faites dans des assemblées de communes, les trois ordres furent convoqués séparément, et tinrent des assemblées particulières.

Les premiers regards dans ces assemblées se tournèrent vers les commissaires envoyés par le prévôt des marchands pour les présider. C’étaient, d’après un édit du conseil, des conseillers du Châtelet, pour la noblesse, et des conseillers de ville,

  1. M. de Calonne vint aussi d’Angleterre se sur les rangs pour acheter des deniers de ses épargnes les suffrages du bailliage de Bailleul. L’indignation publique le força bientôt de fuir.