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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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La multitude courut au Palais sur les pas de son tribun. Celui-ci harangua le Parlement, qui promit de faire droit sur sa plainte. Toute la troupe enorgueillie de ses démarches patriotiques, pleine de joie et de vin, se répandit dans la ville, armée de bâtons, et maltraita plusieurs jeunes gens assemblés dans un café.

Cet attroupement annoncé depuis plusieurs jours n’avait pas été ignoré du Parlement ; le grand prévôt avait surpris et porté au président plusieurs des billets répandus avec profusion pour ameuter le peuple.

C’était un gentilhomme, disait l’un, qui avait distribué des bâtons aux assassins ; d’autres prétendaient avoir reconnu, sous des habits de livrée, des membres des États et du Parlement. Une foule de faits et de détails presque tous altérés et exagérés par la colère, augmentaient parmi la bourgeoisie l’indignation et la soif de la vengeance.

Le lendemain, la jeunesse de la ville, armée d’épées, sabres et pistolets, partagée en divers groupes, parcourait les places et les rues. Une querelle entre deux hommes du peuple vint rallumer la fureur générale et précipiter l’explosion. L’un d’entre eux, blessé d’un coup de couteau, s’écrie que son ennemi est un gentilhomme travesti. La rage était au comble ; dans les transports qu’elle excite, on attribue aux douze cents gentilshommes qui composaient les États le projet d’assassiner toute la bourgeoisie.

On les saisit au moment où ils sortaient de leurs auberges pour se rendre aux États. On les attaque, on les poursuit, on les presse de toutes parts. Ils se défendent avec courage. Chaque rue devient un champ de bataille, le sang coule, deux gentilshommes sont tués. Les femmes mêmes des deux partis viennent se mêler dans ces scènes barbares.

Le tocsin sonne, tous les citoyens accourent, la foule augmente le désordre ; les magistrats sont insultés ; enfin le commandant se jette au milieu des combattants, et leur ordonne, au nom du roi et de la patrie, de mettre bas les armes. Sa présence et sa voix suspendent la fureur du peuple, l’Hôtel-de-Ville s’assemble et la noblesse rentre aux États.

Les gentilhommes ne pensent plus qu’aux moyens de se mettre en défense. Les États tenaient leurs séances dans une salle des Cordeliers : dans le cloître était une boutique d’armurier ; ils s’emparent des armes, et se partagent les différents postes.

Des troupes étaient entrées dans Rennes ; mais elles n’en imposaient point au peuple. L’Hôtel-de-Ville était toujours assemblé, mais la noblesse refusa d’entrer en composition. Enfin M. de Thiard, commandant de la province, également cher aux deux partis, parvint à leur faire accepter un accommodement. On convint que la noblesse sortirait sans autres armes que son épée de la salle des États, et l’on promit de part et d’autre de ne point troubler la tranquillité publique.

À la première nouvelle des événements qui venaient de soulever la capitale de la province, les citoyens de tous les ordres s’émurent, les nobles campagnards quittèrent le timon de la charrue, ceignirent la vieille épée de leurs aïeux, ornement de leur cabane, et coururent à Rennes pour défendre leur ordre. Les villes de Nantes et de Saint-Malo firent marcher l’élite de leur jeunesse pour soutenir la cause commune ; les villes de Caen, d’Angers et plusieurs autres, leur offrirent des secours. Rennes vit aussi à ses portes une troupe de partisans qui venaient donner à M. Bies-Ha, leur seigneur, des marques touchantes de leur affection, et lui offrir le secours de leurs bras pour venger la mort de son fils, tué dans l’émeute du 26 janvier.

M. de Thiard, alarmé de tous ces mouvements, marche, à la tête de quelques troupes, à la rencontre des légions citoyennes. Quelques-unes, après s’être assurées du rétablissement de la tranquillité, consentent à retourner dans leurs foyers ; d’autres qui, pour n’être pas à charge à ceux qu’elles venaient secourir, s’étaient fait suivre de plusieurs chariots remplis de vivres et de munitions, refusent de traiter avec le commandant des troupes du roi, entrent dans la ville, confèrent avec des commissaires nommés par les jeunes patriotes, déposent leurs armes dans les magasins, où ils établissent des corps de garde, et se décident à attendre les événements. Le commandant, ne prévoyant que nouveaux désastres, donna aux États l’ordre ou le conseil de se séparer, jusqu’au moment où le calme renaîtrait et permettrait de les rassembler. Tous les ordres sentirent la nécessité de cette séparation.

L’inaction des députés du tiers, et les démarches courageuses et soutenues de toutes les villes de Bretagne, durent faire présager la fermeté des États généraux et le triomphe des amis de la liberté sur les partisans du despotisme.

On attribua ces désastres à l’insouciance ou à la malveillance du parlement. Tous frémissaient à l’approche de cette assemblée qui allait détruire leur existence politique. Deux fois celui de Grenoble sembla vouloir revenir sur ses pas et commencer la guerre contre les États ; deux fois les menaces du peuple le forcèrent à garder le silence. Le Parlement de Besancon ne fut pas plus heureux dans les actes de despotisme qu’il se permit contre trente-deux membres des deux premiers ordres de la province, qui avaient eu le courage de s’élever contre leurs collègues et de renoncer aux prérogatives. Un arrêt du conseil flétrit l’arrêt tyrannique de cette cour souveraine ; et pour la première fois peut-être on vit un acte de pouvoir