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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

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ordres réunis contre les barons et les évêques suppliaient le roi de leur accorder, pour leur administration particulière, le bienfait de cette juste et sage représentation annoncée à la France comme devant être la base des opérations relatives à la convocation des États généraux. Les seigneurs des fiefs luttaient encore en Provence contre la noblesse, le tiers état et le clergé ; ils avaient violé le titre fondamental de l’assemblée des États, en ne se conformant point aux lois établies pour le nombre de leurs représentants, et en se rendant en corps à une assemblée où ils ne devaient assister que par députés : ils avaient pour eux le Parlement et l’archevêque d’Aix, et contre eux la justice et l’éloquence tonnante de Mirabeau. Ils ne purent manquer d’être vaincus[1].

Les États de Bretagne, du Béarn et du Dauphiné avaient formé ensemble un pacte de défense contre le despotisme ministériel ; néanmoins on espéra pouvoir engager les provinces à tourner leurs efforts contre un administrateur qui menaçait le royaume d’une constitution libre qui était un attentat contre la constitution actuelle des États. Les Béarnais se laissèrent séduire, et écrivirent aux États du Dauphiné pour les exhorter à s’unir avec eux pour la défense des priviléges. Cette lettre fut pour ceux-ci une nouvelle occasion de donner des preuves du patriotisme éclairé qui avait dirigé toutes leurs démarches, et ils acquirent une nouvelle gloire en déclarant que leur premier titre était celui de Français et de citoyens ; que les prérogatives des ordres et des provinces n’étaient précieuses à leurs yeux, que lorsqu’elles pouvaient être considérées comme des barrières à opposer au despotisme du gouvernement arbitraire ; mais que le sacrifice des priviléges était le premier qu’on devait faire à la liberté publique.

Les négociants de Grenoble ne se firent pas moins d’honneur en répondant aux principales villes du royaume, qui les sollicitaient de se joindre à elles, afin d’obtenir aux États généraux une représentation particulière pour le commerce ; que les membres de cette assemblée devaient être les députés de la nation, et non ceux des corporations particulières qui la composent ; que leur force ne pouvait résider que dans leur unité, et que ce serait la rompre que de substituer une foule d’intérêts particuliers à l’intérêt commun qui devait les unir.

Les divisions qui, depuis près de trois mois, déchiraient la Bretagne, ranimèrent les espérances des aristocrates. Les Bretons, ces vieux amis de la liberté, toujours divisés entre eux, mais toujours réunis contre l’oppression et la tyrannie, avaient vu renaître la discorde au milieu des fêtes qu’ils célébraient pour honorer leur triomphe et le rétablissement des lois et des magistrats. Des abus sans nombre s’étaient glissés dans leurs assemblées nationales ; le tiers état n’y était point représenté, car il ne pouvait regarder comme son mandataire des officiers municipaux qui avaient acheté du roi un droit que le monarque n’avait pas lui-même, et qu’on ne pouvait recevoir que du choix libre de ses commettants. Le clergé du second ordre était exclu des États, et la noblesse en totalité y siégeait depuis plus de deux siècles par le seul droit de sa naissance. Cependant cette affluence de noblesse qui, dans les dangers, accourait de toutes parts pour la défense de la patrie, donnait aux États de Bretagne une apparence de force qui en imposait aux ministres, et dans l’assentiment général, ils avaient conservé un simulacre de liberté que le despotisme même respectait.

Dans toute autre circonstance, on se serait borné à demander la réforme des abus criants, et l’on aurait respecté une constitution si souvent consacrée par l’assentiment de tous les ordres ; mais on commençait à réfléchir sur la justice et les avantages d’une représentation proportionnelle : la conduite des États de Romans, les principes qui les avaient guidés, les bases qu’ils avaient posées, et sur lesquelles on désirait de voir établir le système général du gouvernement, l’importance d’adopter pour l’universalité des provinces un plan d’administration uniforme et corrélatif à celui du royaume, la nécessité de réunir enfin en un seul corps toutes ces provinces qui formaient vingt nations dans une : toutes ces considérations furent vivement senties dans les villes de Bretagne, où la présence des États et leurs contestations fréquentes contre la cour, avaient accoutumé les esprits à discuter les intérêts nationaux, à concevoir quelques principes d’indépendance politique, et les avaient préparés aux orages de la liberté.

Toutes les municipalités de Bretagne s’assemblèrent ; et afin de propager les grandes impulsions données par le Dauphiné, envoyèrent au roi

  1. Ce fut dans les assemblées d’Aix et de Marseille que l’éloquence de Mirabeau commença à se développer avec le plus grand éclat, et lui concilia l’admiration publique. La noblesse, à qui il faisait ombrage, l’exclut provisoirement de ses séances, en élevant une contestation générale contre les non possédant fiefs ; elle eut bientôt à se repentir de l’avoir forcé à porter la fougue de son génie électrique dans l’assemblée des communes, où il eut toutes les occasions de se venger de la haine des ordres privilégiés. À Aix, la jeune bourgeoisie lui assigna une garde d’honneur ; à Marseille, sa voiture fut traînée par le peuple. Pendant son séjour dans cette ville, des feux de joie et des danses perpétuelles lui donnaient sous ses fenêtres le spectacle de l’allégresse publique. On lui destina une place particulière à la comédie ; enfin on lui posa une couronne sur la tête au milieu des plus vives acclamations. Devenu l’idole de ses concitoyens, il en était aussi l’arbitre, et il avait une telle influence, que M. de Caraman, commandant de la province, craignant les suites d’une effervescence qui commençait à se manifester, lui écrivit le 20 mars pour le supplier d’interposer l’ascendant qu’il avait sur le peuple pour calmer les esprits, et il y réussit en effet avec le secours de M. Antonelle.