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[1re Série, T. Ier ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Introduction.]

pour l’administration de la justice, entraient dans le plan de travail dont s’occupait sous ses ordres le comité de législation qu’il avait établi.

Comme il fallait, pour faire passer la cour pléniêre, offrir au public quelques lois propres à balancer et à couvrir l’odieux de ce nouveau divan, on s’empara du travail du comité, on le tronqua, on le morcela pour le faire cadrer avec l’opération principale. L’abbé Maury fut chargé des préambules et des discours, et le garde des sceaux de les prononcer.

Après la retraite de l’archevêque, la démission qu’offrit M. de Lamoignon ne fut point sur-le-champ acceptée. Il se flatta un moment de conserver sa place ; mais la haine du Parlement de Paris l’obligea de hâter de deux jours le moment fixé pour sa retraite.

Cette cour, avant de se rendre à Versailles pour le lit de justice disposé par M. le garde des sceaux, avait pris un arrêté vigoureux contenant une dénonciation contre lui, et avait chargé son président d’en faire lecture en présence de Sa Majesté ! Sur des copies que l’on eut de cet arrêté, le lit de justice fut contremandé : M. de Lamoignon renvoya les sceaux du roi, et les Parlements furent réintégrés dans leurs fonctions, sans lit de justice.

On n’a jamais su au juste quel traitement lui avait fait la cour. Il est mort[1] avec des dettes. Il avait été magistrat intègre ; ministre, il bouleversa la magistrature et le royaume. Il laissa un exemple frappant à cette foule d’ambitieux qui convoitent les grandes places, sans s’embarrasser d’avoir les talents nécessaires pour les remplir.

La jeunesse de Paris ayant appris le départ du principal ministre, alla demander au lieutenant de police la permission de se divertir, c’est-à-dire de donner des marques publiques de la joie que lui procurait cet événement. Elle s’assembla donc à la place Dauphine, et promena un mannequin vêtu d’une robe d’évêque, dont trois cinquièmes étaient de satin, et les deux autres de papier, en dérision de l’arrêt du conseil du 16 août, qui autorisait les différentes caisses à faire en papier les deux cinquièmes de leurs payements. On le jugea ensuite ; il fut condamné au feu, apparemment comme coupable de l’avoir mis aux quatre coins du royaume. Un ecclésiastique qui passait fut arrêté ; on lui donna le nom de l’abbé de Vermont, et il fut chargé de confesser son protégé. Celle cérémonie achevée, le mannequin fut brûlé en grande cérémonie, et chacun se retira.

Le lendemain le peuple voulut recommencer ; mais le chevalier Dubois, commandant du guet, s’y opposa. Il aurait pu facilement prévenir le tumulte, et même l’affluence à la place Dauphine, en s’emparant de bonne heure de cette place, et en faisant garder toutes ses avenues par de nombreux détachements ; c’est ce qu’il ne fit pas. Il s’imagina que vingt cavaliers, soutenus par une cinquantaine de fusiliers, lui suffiraient pour disperser plus de 20 mille personnes.

Sa présence ne lui paraissant pas en imposer au peuple, il ordonne de fondre sur lui à coups de sabres, à coups de bayonnettes, et de charger indistinctement tout ce qui se rencontre sur son passage. Plusieurs personnes de marque furent blessées ; quelques autres, tant hommes que femmes, perdirent la vie.

À la vue des morts et des blessés, le peuple, quoique sans armes, se rallie, la fureur succède au premier désordre, et les satellites du petit tyran subalterne sont mis en fuite avec leur chef. On force le corps de garde placé au pied de la statue de Henri IV ; on dépouille les soldats qui y étaient cantonnés, on s’empare de leurs armes, on brûle leurs habits, et on les renvoie avec des sentiments de commisération dont ils s’étaient rendus indignes.

Une foule d’artisans et d’ouvriers se répandent ensuite dans la ville, et brûlent divers corps de garde isolés, sans se permettre de faire aucun mal à ceux qui s’y trouvaient. C’était un désordre punissable, sans doute ; mais n’était-il pas occasionné par la violence et l’ineptie du commandant du guet ? On crut réparer un premier crime par un autre plus grand encore. Lorsque cette jeunesse indisciplinée se porta sur la Grève, des corps de troupes que l’on y avait postés, et que la nuit couvrait de son ombre, firent des décharges redoublées et étendirent sur la place un grand nombre de ces malheureux, dont on jeta les cadavres dans la rivière pendant la nuit. Le lendemain, le calme reparut dans la ville, mais il était bien loin d’être dans les cœurs.

La retraite de M. de Lamoignon fit recommencer les mêmes scènes. On le brûla comme l’archevêque après avoir ordonné qu’il serait sursis pendant quarante jours à son exécution, par allusion à son ordonnance sur la jurisprudence criminelle. Des brigands et des hommes soudoyés par les ennemis personnels des deux ex-ministres, se mêlèrent dans la foule, et l’excitèrent à la vengeance. Des troupes de furieux partent de la place Dauphine pour aller mettre le feu à leurs hôtels et à la maison du chevalier Dubois.

M. de Brienne, frère de l’archevêque et ministre de la guerre, arrivait de Versailles à l’instant où ces forcenés, armés de torches brûlantes, s’approchaient de son hôtel. Il va sur-le-champ chercher du secours. On eût pu faire marcher un bataillon de gardes françaises et un corps de grenadiers qui en auraient imposé à cette multitude désarmée : on trouva plus court de la massacrer

  1. Le genre de mort de M. de Lamoignon a fait croire qu’elle était volontaire. Il fut tué par la détente d’un fusil de chasse qu’il avait en main, étant dans une grotte de son jardin.